Article
Federico Bochy, dim 13/08/2017 - 12:08

Début août, le temps pour les joueurs de retrouver la glace et pour les suiveurs de commencer à s’intéresser à la saison à venir. Renouveler son abonnement, organiser sa traditionnelle visite à la Vallée de Joux, rentrer les dates de matchs dans son agenda, tout ceci fait partie du rituel estival du supporter grenat. Sauf que cette année, de nombreux fans ont dû s’étrangler en découvrant le calendrier.

 

Car cette saison, les décideurs du GSHC nous ont concocté une surprise de très mauvais goût : les matchs aux Vernets le jeudi. Les Aigles joueront ainsi 9x à domicile le jeudi soir, soit autant de fois que le vendredi et samedi cumulés. Si l’on y ajoute les 6 matchs programmés un mardi, c’est donc 60% des rencontres des Grenat à Genève qui auront lieu un jour de semaine. À titre de comparaison, c’est 32% de plus que la saison passée et 24% de plus que la précédente.

 

Ne vous y méprenez pas, c’est bien une révolution qui nous a été discrètement imposée. Bien plus que le changement de capitaine, le rallongement des pauses ou l’arrivée d’un Suédois au nom imprononçable, c’est le cœur même de nos habitudes qu’il va falloir modifier. Il va notamment falloir apprendre à occuper autrement nos soirées de week-end, car ce n’est plus le GSHC qui va le faire. Si l’idée semble déjà saugrenue, ce sont surtout les motifs de ce choix qui interpellent.

 

L’argument invoqué en premier lieu a pour but de faire augmenter l’affluence. Or, selon les statistiques disponibles sur les différents sites de référence, l’affluence moyenne des matchs du jeudi (hors Playoffs bien évidemment) a toujours été inférieure à la moyenne de la saison. Si l’on regarde dès la saison 10-11, la moyenne du jeudi est de 6'661 spectateurs pour une moyenne saisonnière de 6'698. La différence n’est certes pas énorme, mais elle prend en compte deux « anciens » guichets fermés à 7'382 places. Si on transpose en terme de places actuelles, on arrive à une différence d’environ 100 personnes. Enfin, si l’on va chercher plus loin, la moyenne des matchs du jeudi aux Vernets depuis la saison 04-05 est de 5'973, tandis que la moyenne générale est de 6’205. La différence est donc plutôt nette. Bref, vous l’aurez compris, l’argument de l’augmentation de l’affluence n’est pas recevable, il n’est en réalité qu’une couverture pour servir d’autres intérêts.

 

La vérité, que le club ne cherche d’ailleurs pas forcément à cacher, c’est qu’un match en semaine permet d’attirer plus de monde dans les coursives des VIP. Ici, pas de chiffres à l’appui, le club ne publiant pas le taux de remplissage de chaque secteur de la patinoire, mais on peut aisément supposer quelques points. Tout d’abord, il s’agit d’un jour ouvrable, il est donc plus facile d’attirer un businessman à sa sortie du bureau (on pourrait même imaginer dans quelques années que les matchs débutent à 19h pour ne pas le faire poireauter trop longtemps). Sans compter que pour les sorties d’entreprises, le jeudi a l’avantage de ne pas empiéter sur le week-end tout en ne risquant pas une perte de productivité répartie sur toute la semaine comme ce pourrait être le cas pour un match le mardi. Et le même raisonnement peut s’appliquer pour ceux qui cherchent à conclure des contrats ou à améliorer leur visibilité en profitant d’une passion « de circonstance » pour le hockey.

 

En soi, si ce raisonnement ne me plaît pas outre mesure à titre personnel, je peux le comprendre, surtout s’il apporte des revenus substantiels au club. Au final, on ne fait pas venir des Richard, Gerbe, Spaling ou Romy gratuitement, donc il suit tout de même une certaine logique.

 

Pour moi, le problème de fond qui se pose concerne l’impact que ce genre de raisonnement a pour le reste de la patinoire qui, rappelons-le, rapporte probablement moins d’argent au club, mais constitue une majorité de suiveurs sans qui « l’expérience hockey » serait largement moins rentable (bah oui, quand il n’y a pas 5'000 personnes pour faire du bruit, c’est plus compliqué de garder une négociation secrète). Cette majorité de gens, c’est vous et moi. Il y a des familles, des jeunes, des étudiants, des retraités, des chômeurs, des travailleurs, des couples, des célibataires, des ultras, des hockix, bref, Monsieur et Madame Tout-le-monde. Tout plein de gens qui viennent au hockey pour différentes raisons, que ce soit pour la passion du club, l’amour du jeu, la joie de retrouver les potes, pour se vider l’esprit, pour boire des verres, pour tromper l’ennui, peu importe. Tous viennent avec plaisir et parfois accompagnés par des novices, qui souvent se laisseront prendre au jeu et reviendront volontiers d’autres fois, amenant à nouveau des néophytes, créant une sorte de renouvellement permanent du public.

 

Sauf que ces dernières années, le club a énormément tiré sur la corde pour ces gens-là en haussant les prix d’absolument tout. Un billet « potable » (hors Bronze 2 et Parterres) coûte entre 30 et 70 frs. Une bière coûte aussi cher que dans un bar, pour une qualité largement moindre. La nourriture est soit infecte, soit hors-de-prix (du moins si l’on veut éviter de devoir compléter son repas en rentrant chez soi). Le merchandising est lui d’un goût plutôt douteux et généralement beaucoup trop cher (40 frs pour un linge de plage !). En parallèle de tout cela, Swisscom/Teleclub d’abord, UPC/Naxoo maintenant, ont développé une sorte de monopole où chacun est obligé d’avoir un décodeur chez lui pour regarder la TV, ce qui rend le hockey relativement accessible puisqu’il ne constitue qu’un coût marginal de l’abonnement TV usuel. Il n’est dès lors pas surprenant que les patinoires se vident puisqu’il devient largement plus rentable ou même agréable de suivre les matchs dans son salon avec ses potes ou sa famille que de se rendre jusqu’à la patinoire.

 

Quel rapport avec le calendrier, me direz-vous ? Il est relativement simple. Nombre d’entre vous dispose dudit abonnement TV. Mais sûrement que vous êtes également nombreux à ne pas vivre que de hockey et que vous avez assurément d’autres activités. Entraînement de foot, répétition de la fanfare, soirée étudiante, cours du soir, que sais-je. Tout ceci peut avoir lieu à n’importe quel moment de la semaine, mais il est quand même très fréquent que cela tombe au minimum sur un mardi et/ou un jeudi. Tandis que le week-end est généralement plus aléatoire pour ces événements, les soirs de semaines sont généralement occupés de manière fixe et la présence n’y est que difficilement négociable.

 

Dès lors, pour beaucoup de suiveurs, il faudra désormais choisir entre le hockey et ces activités au lieu de s’arranger pour concilier les deux. Et comme nous l’avons vu ci-dessus, une majorité de ces spectateurs habituels disposent également de la possibilité de regarder les matchs du GSHC à la maison. Nul besoin d’avoir fait de longues études d’économie pour en déduire que ceux-ci opteront probablement pour l’option combinée « activité + suite du match à la maison », délaissant ainsi les Vernets que ce soit de manière occasionnelle ou même en renonçant à prendre l’abonnement par crainte de ne pas le rentabiliser. C’est là où le club se tire une première balle dans le pied.

 

Et ce raisonnement n’est basé que sur des fans habitants en région genevoise. Pour ceux (et ils sont bien plus nombreux qu’on le croit) qui viennent régulièrement depuis plus loin (le Valais, la Broye et le Jura pour ne citer que quelques exemples de ma connaissance), autant ne pas nier l’évidence : ils ne viendront plus ou plus aussi souvent. Pour un club qui n’a déjà pas une bonne image en dehors de Genève, c’est une nouvelle balle dans le pied.

 

Sans compter que la perte de ces abonnés (ou du moins spectateurs réguliers) risque d’amener deux conséquences néfastes : le manque de renouvellement du public selon le mécanisme cité supra et le manque de remplissage de la patinoire, créant ainsi un lieu qui risque de sonner creux et de perdre en attractivité pour les sponsors. Là encore, le manque de vision à long terme de ce choix semble criard et plutôt inquiétant.

 

Par souci de concision, je passerai sur le fait qu’il s’agit d’un pas de plus vers le hockey-business au détriment du sport populaire (qui s’est toujours joué en week-end et, pour le hockey, de temps à autres le mardi) puisqu’il ne s’agit que d’un argument idéaliste. Par contre, ce qui m’interpelle, c’est l’impact que pourrait avoir cette décision sur la condition physique et la fraîcheur des joueurs. En effet, certaines semaines, les Aigles vont disputer de véritables séries de Playoffs avec soit un match tous les deux jours, soit trois matchs en quatre jours. La palme de la stupidité revient d’ailleurs aux deux dernières semaines de novembre, où le GSHC va s’enchaîner six matchs en dix jours (ou même sept matchs en deux semaines en cas de qualification pour les ¼ de la Coupe de Suisse) dont cinq en sept jours, alors même qu’il aurait été possible de jouer le vendredi ou le samedi pour se donner un peu de répit. Quand on connaît la propension des Grenat à subir des avalanches de blessures, prendre un tel risque peut sembler bien saugrenu…

 

Enfin, mon dernier point concerne les droits TV proprement dits et la visibilité. Il faut savoir que c’est le club lui-même qui a proposé à UPC de décaler certains matchs au jeudi. Il va sans dire que du côté de l’opérateur, on s’est frotté les mains d’une telle aubaine qui leur permettra de fournir du contenu un jour supplémentaire et de rentabiliser un peu plus le montant astronomique (à l’échelle helvétique) qu’il a déboursé pour obtenir l’exclusivité du hockey suisse. Est-ce que ce petit arrangement a été rémunéré en faveur du club ? Nul ne le saura probablement jamais, mais espérons que oui, cela permettrait au moins de compenser une partie du manque à gagner induit par la baisse des revenus de billetterie, de merchandising et de catering. Bien sûr, parler de manque à gagner sans connaître les revenus générés par l’augmentation des VIP peut sembler quelque peu naïf, mais c’est en tout cas un argument qui apparaît recevable a priori au moment de négocier ce genre de deal. L’avenir nous dira si cela s’est avéré exact.

 

Quant à l’augmentation de la visibilité générée par le fait que le GSHC est le seul club à recevoir le jeudi (à l’instar des ZSC Lions le lundi en raison des disponibilités de leur « patinoire »), les retombées positives potentielles me paraissent négligeables. Il me semblerait en effet surprenant que la réputation des Aigles s’améliore drastiquement par le simple fait que leurs matchs ne tombent pas en même temps que celui d’autres équipes. En ce qui concerne les sponsors, peu d’entre eux ont une vision nationale et, quand bien même, je doute qu’ils aient soudainement une avalanche de nouveaux clients simplement par le truchement de quelques matchs décalés. Dès lors, ce n’est pas de ce côté-là non plus qu’il faut chercher des arguments. On peut éventuellement imaginer que les sponsors TV soient eux plus contents d’améliorer un peu leur visibilité en s’affichant sur les écrans un jour de plus. Ce serait une possibilité, mais son impact reste relativement limité. Qui plus est, les matchs aux Vernets le jeudi attireront majoritairement des téléspectateurs d’outre-Sarine ou d’outre-Gothard qui n’auront pas eu la possibilité de se rendre dans la lointaine Cité de Calvin en semaine en plus du public habituel. Il s’agit donc d’un type d’auditeurs qui n’est pas forcément le premier visé par ces partenaires commerciaux, ce qui restreint encore plus les bénéfices potentiels en terme de visibilité pour eux. Le seul bénéficiaire de ces matchs décalés est donc bien UPC lui-même, mais pas forcément ses sponsors.

 

En conclusion, et vous l’aurez compris au terme de ce long article, le choix du GSHC de jouer la majorité de ses matchs en semaine et principalement le jeudi ne répond finalement qu’à une logique commerciale que je qualifierai d’élitiste, puisqu’il ne vise pas à maximiser le taux de remplissage de la patinoire et de satisfaction du public, mais bien à privilégier une certaine partie des spectateurs (jugée plus importante en raison de sa puissance financière) au détriment d’une autre, certes plus populaire, mais néanmoins plus fidèle dont les investissements directs (catering, merchandising, abonnements) et surtout indirects (ambiance, transmission d’une image positive du club autour de soi, incitations à faire venir ses amis à la patinoire, etc.) à long terme sont pourtant indispensables à la survie de tout club sportif.

 

Et comme on l’a vu, « l’expérience hockey » elle-même vante dans ses clips promotionnels une patinoire pleine et animée, une preuve s’il en est que le club compte sur le grand public pour participer à son image et ainsi attirer une population qui ne s’intéresse d’ordinaire pas à ce genre de sport. Privilégier ensuite ces quelques personnes au détriment des autres revient ainsi à commettre un impair pouvant mettre à plat toute une stratégie commerciale. Espérons que celui-ci ne sera pas répété à l’avenir, car à vouloir trop jouer avec le feu, les dirigeants risquent bien de casser leur jouet !

 

Finalement, pour paraphraser une banderole souvent aperçue ces dernières années dans les tribunes de Challenge League (par ailleurs largement gangrenée elle-aussi par la problématique des matchs en semaine dans l’unique but de satisfaire l’appétit de quelques uns), je terminerai ainsi : match le jeudi, non merci !