«Les politiques ne traînent pas les pieds sur le dossier», explique Anne Emery-Torracinta. Au club désormais d’agir
Avec la folie des play-off, le sujet revient comme un boomerang. Pleine comme un œuf, la patinoire des Vernets affiche plus que jamais ses limites. VIP placés en liste d’attente, spectateurs contraints de s’exiler dans les coins pour trouver un sésame, tribune de presse exiguë, sanitaires saturés… Si l’ambiance est particulièrement électrique durant ces matches spectaculaires, la vieille dame ne fait vraiment plus l’affaire de ceux qui rêvent de faire des affaires. Elle ne plaît plus non plus à la Ligue nationale, qui exige que des travaux soient une nouvelle fois entrepris. L’horizon 2019 pour se mettre en conformité n’est pas à prendre à la légère. Pour obtenir un délai, le club doit pouvoir convaincre qu’un projet de nouvelle patinoire est véritablement lancé. Il ne suffit pas de dessiner ses rêves de grandeur. Il faut maintenant les concrétiser.
Il faut bien reconnaître que les politiques ont longtemps porté l’étiquette embarrassante indiquant que le dossier n’était pas une priorité. Ce n’était pas tout à fait exact. Depuis la nouvelle législature, les choses bougent. Anne Emery-Torracinta, cheffe du DIP, en charge des affaires cantonales du sport, a tenu à monter au créneau pour rétablir certaines vérités. Elle fait également part de son optimisme.
Madame la conseillère d’Etat, où en sommes-nous avec ce projet de nouvelle patinoire dont on n’entend plus beaucoup parler?
Je veux déjà vous donner la position du Conseil d’Etat sur le sujet. C’est évident que nous avons besoin, à Genève, d’une nouvelle patinoire. Pour au moins deux raisons. D’une part parce qu’il faut cette nouvelle surface de glace afin de répondre aux exigences d’un club d’élite comme le GSHC, qui doit pouvoir évoluer dans une enceinte répondant à certaines normes. Mon département est d’ailleurs allé voir ce qui s’est fait ailleurs… Et, d’autre part, nous avons également conscience que c’est tout le canton qui manque d’espace pour la pratique, plus populaire, je dirais, des sports de glace.
Cette volonté cantonale de piloter les grands projets d’infrastructures est plutôt inhabituelle?
Les choses changent depuis plusieurs années. Historiquement, à Genève, ce sont les communes qui ont toujours assumé la construction de leurs installations. Et la plus grande d’entre elles, Genève, tient forcément un rôle central. Mais on se rend compte depuis plusieurs années qu’il est de plus en plus difficile pour les communes d’assumer ces charges toutes seules. On le voit aussi dans la Culture. Ainsi, l’Etat participera au financement de la Nouvelle Comédie. Il n’y a pas de raison que cela ne soit pas le cas pour la nouvelle patinoire ou le stade, qui sont objectivement des infrastructures d’importance cantonale.
Qu’attendez-vous en retour?
Nous ne voulons pas seulement hériter des «patates chaudes». Nous devrions aussi pouvoir nous investir dans la politique globale du sport, qu’il soit d’élite, de la relève ou populaire. Tout cela fait partie des discussions qui sont en cours sur la répartition des tâches entre Canton et communes.
Tout le monde s’est mis autour de la table; Canton, Ville, communes, club, et on a l’impression que rien ne bouge…
Et pourtant. Dès le changement de législature, le Conseil d’Etat, sous mon impulsion, s’est saisi du sujet et a relancé le dossier. Quatre départements sont impliqués. Dès le début, je tiens à dire que nous avons travaillé en très bonne collaboration avec le club. Il n’y a pas eu de conflit. Sur le concept global, nous sommes en accord. Dans les grandes lignes, c’est toujours sur le projet au Trèfle blanc que nous travaillons, tous ensemble. Avec une patinoire de 10 000 places, dont 2500 dévolues aux secteurs VIP, qui permettront de générer des recettes importantes. Là-dessus, il y a un consensus général.
Il y a un consensus mais le club a dû revoir sa copie, c’est cela?
Sous l’ancienne législature, un premier dossier avait été présenté. Mais il avait été jugé disproportionné et comportait pas mal de flous, notamment sur le plan du financement de la construction ainsi que de l’exploitation du bâtiment. Nous avons donc demandé au club de revoir son projet de façon à correspondre à ce qui se fait ailleurs en Suisse. Il était possible selon nous de garder l’essentiel: la capacité de la patinoire et le bâtiment commercial annexe, tout en redimensionnant l’ensemble au niveau des coûts.
Le club vous a-t-il présenté la nouvelle mouture de son projet?
Oui. Cela a été fait en mai 2015. En juin, le Conseil d’Etat a transmis aux dirigeants un certain nombre de questions, certaines à propos d’éléments techniques, et d’autres liées à l’investisseur. Nous sommes en mars 2016 et nous sommes toujours dans l’attente d’une partie des réponses fondamentales pour aller de l’avant.
Qui va financer cette nouvelle patinoire?
Dès le départ, il a été prévu de partir sur un partenariat privé-public. De notre côté, nous demandons au club de nous fournir certaines garanties quant à ces fameux partenaires privés. Il est hors de question de se lancer dans un projet mal ficelé du type Stade de Genève. A savoir que l’on se retrouve avec une infrastructure qui n’est pas viable pour un club et que le Canton va devoir débloquer les fonds nécessaires pour en assurer le fonctionnement et l’entretien. Sinon, cela signifierait sans doute mettre la clé sous la porte.
Vous allez donc être intransigeante sur les capacités réelles de ces investisseurs?
En tant que politique, nous avons la responsabilité de «bétonner» ce projet de nouvelle patinoire en ayant toutes les garanties nécessaires.
Etes-vous inquiète?
Non. Je pense que le club fait son travail. Et le fait très bien. Il s’agissait aussi pour nous de clarifier la situation et de répondre à certaines critiques relatives à l’immobilisme des autorités. Le GSHC se rend compte qu’il n’est pas simple de pouvoir trouver ces sommes importantes tout en fournissant des garanties. A trois reprises, le club nous a demandé un délai et nous attendons toujours. La balle, ou plutôt le puck, est dans son camp.
Quels sont les principaux éclaircissements demandés à Ge/Servette?
C’est vraiment au niveau de l’investisseur et de sa capacité à pouvoir financer le projet. Quelles sont ses attentes vis-à-vis des collectivités publiques, combien d’argent veut-il mettre dans le projet, quelles sont ses possibilités d’obtenir un emprunt bancaire, etc.? Nous seront très attentifs sur l’exploitation future de la patinoire. Pour ne pas se retrouver avec un bâtiment neuf mais qui n’est pas viable par lui-même. Pour le stade, je rappelle que c’est le loyer du centre commercial qui devait assurer l’exploitation. Le gros couac, c’est que ce loyer avait été payé par avance et l’argent utilisé pour la construction alors qu’il aurait dû assurer la viabilité de l’infrastructure.
C’est ce même modèle qui est proposé par Ge/Servette?
Le projet comporte un bâtiment annexe à la patinoire. Et c’est avec les revenus de l’exploitation de ce bâtiment qu’il est envisagé de financer tout ou partie des coûts d’exploitation de la patinoire. Il n’est pas question d’utiliser ces ressources potentielles pour absorber les coûts de la construction. Il y a encore des zones de flou sur la nature exacte et l’affectation de ce bâtiment commercial. C’est l’une des nombreuses questions qui restent pour l’instant sans réponse. Mais je sais que le club travaille très fort pour trouver les solutions.
Et qu’en est-il des différents obstacles liés à l’occupation de la zone du Trèfle blanc?
Des discussions ont été menées et il ne devrait pas y avoir de blocage majeur. Mais nous n’allons rien entreprendre quant à la résiliation de baux et au relogement des personnes vivant sur place avant d’avoir la certitude que le projet sera véritablement en mesure de démarrer. Cela étant, et je redis mon optimisme, une fois la question financière réglée, tout peut s’accélérer.
Le projet
Implantation Au lieu-dit du Trèfle blanc sur la commune de Lancy.
Coûts 110 millions de francs (10 000 places).
Parts publiques Canton de Genève, 15 millions de francs, Ville de Genève, 5 millions.
Parts privées 90 millions de francs. Un apport de fonds propres de 25 millions d’un groupe d’investisseurs ainsi que des emprunts bancaires de 65 millions de francs.
Un bâtiment annexe est prévu Idéalement, il devra générer les revenus nécessaires pour couvrir les frais d’exploitation de la patinoire.
Un travail de très longue haleine
Au club, il n’y a pas que les play-off qui remplissent les journées de travail à rallonge. Il suffisait de voir la mine de Christophe Stucki samedi soir après la qualification contre Fribourg-Gottéron. Le directeur de Ge/Servette est la cheville ouvrière des Aigles sur l’épineux dossier de la patinoire. «Nous travaillons comme des fous sur le sujet, nous disait-il. C’est long et difficile mais nous sommes sur la bonne voie pour répondre aux exigences des autorités.»
Un groupe d’investisseurs, actuellement en visite à Genève, était samedi soir au match. Quoi de mieux finalement pour constater de visu l’urgent besoin de permettre à Ge/Servette de disposer à terme d’une enceinte moderne. «Tant que rien n’est officiellement conclu, je resterai calme», dit encore Christophe Stucki.
Il a été demandé au club de jouer la transparence à tous les niveaux pour obtenir et mériter le soutien des autorités cantonales, de la Ville de Genève et des communes. «Et je trouve que tout le monde joue très bien le jeu, nous dit Anne Emery-Torracinta. Les discussions et les séances se déroulent dans un excellent état d’esprit. Vous savez, j’adore le sport. Mon fils est un fan et il va à tous les matches. Il ne cesse de me rappeler l’importance de cette nouvelle patinoire.»
Ge/Servette joue donc les play-off sur deux tableaux. Et si les Aigles décrochaient deux fois la timbale?