Le départ du coach n’est pas une utopie. Interrogés, une majorité des principaux soutiens du club n’y sont pas favorables
Il y a eu comme une montée d’adrénaline dimanche. Au lendemain de l’élimination des Aigles, sur le score sec et sans appel de 4-0 face à Zoug, l’idée d’un départ de Chris McSorley a fait son chemin. Il a suffi d’un premier tweet du journaliste de la RTS Patrick Andrey pour que cette hypothèse se propage comme une traînée de poudre. En milieu de journée, dans l’émission Au cœur du sport, la question était évoquée sans tabou: Ge/Servette peut-il vraiment se passer de Chris McSorley?
Dans notre édition d’hier, nous évoquions également le climat malsain ayant rythmé la saison. Avec en point d’orgue, une volonté de changement à peine voilée de la nouvelle équipe dirigeante mise en place par le président Hugh Quennec. Pour la première fois sans doute depuis qu’il est à Genève, Chris McSorley se retrouve fragilisé. Depuis qu’il a cédé l’ensemble de ses actions à son président en 2014, il a ouvert une brèche.
C’est ainsi que celui qui fut un temps propriétaire-entraîneur-manager n’a pas eu son mot à dire lorsqu’en juin 2016 Hugh Quennec a entrepris sa révolution dans les hautes sphères du club. L’arrivée des Canadiens Mike Gillis (vice-présidence), Peter Gall (conseil d’administration, représentant du groupe d’investisseurs de la nouvelle patinoire) et Lorne Henning (conseiller technique placé au-dessus de Chris McSorley) a provoqué de sacrés remous.
Quennec joue sa crédibilité
Christophe Stucki, directeur du club, a quitté son poste. Il était le garant de la bonne gérance de la SA Ge/Servette. Bien implanté dans les milieux financiers, il jouait également un rôle central dans le dossier de la nouvelle patinoire. Il était l’interlocuteur privilégié et respecté des autorités. Son départ a provoqué une vive inquiétude des principaux sponsors. Hugh Quennec a dû tenter de rassurer à plusieurs reprises ceux qui font vivre les Aigles. Il a également tenu le même discours aux joueurs, eux aussi inquiets.
Depuis le mois de décembre, une sorte de paix des braves était observée à mesure que les résultats de l’équipe allaient en s’améliorant. En revanche, tout le monde est toujours dans l’attente de l’évolution du dossier de la nouvelle patinoire. Cette infrastructure – enceinte, hôtel, bureaux, commerces – à 300 millions de francs est la pierre angulaire du «projet» Quennec qui n’a qu’un seul objectif: «Offrir aux Genevois ce premier titre de champion.»
Sur ce dossier, Hugh Quennec joue sa crédibilité. Que le dossier se concrétise et bien des portes s’ouvriront en même temps que certaines vilaines bouches se fermeront. Et Hugh Quennec pourra alors clairement se passer de Chris McSorley.
Des mécènes se prononcent
La brouille entre les deux hommes n’a fait que s’amplifier à mesure que la saison avançait. L’échec sportif n’est sans doute que le prétexte ultime pour tenter d’éjecter le coach emblématique. Une idée qui aurait paru complètement saugrenue il y a deux ans. Et qui pourrait bien devenir réalité même si Chris McSorley possède un contrat en béton armé de longue durée. C’est, semble-t-il, la volonté de l’armée canadienne du président. Mais cette perspective ne séduit que très moyennement plusieurs sponsors et groupes de soutien des Aigles. Pour Hugo Roppel, président du Crystal Club (qui regroupe plusieurs mécènes, amis du club, qui permettent souvent l’engagement de joueurs hors budget), la situation est limpide. «Le Crystal Club souhaite le statu quo, dit-il. Cette saison, il y a un échec sportif, relatif, c’est vrai. Mais il n’y a pas lieu de faire une révolution.»
L’homme est un ami proche tant de Chris McSorley que de Hugh Quennec. Il joue donc la carte de l’apaisement. On peut cependant penser que le Crystal Club ne resterait pas inactif si les événements devaient prendre une tournure différente de celle qu’il préconise. Il est vrai qu’à l’heure où le dossier de la patinoire se joue auprès des autorités, il serait assez malvenu d’éjecter un homme, Chris McSorley, qui jouit d’une crédibilité nettement supérieure auprès des politiques et du public que son président.
En quinze ans dans la Cité de Calvin, l’Ontarien est devenu l’image de marque du hockey à Genève. Difficile de faire sans?
C’est en tout cas l’avis du directeur des Ports Francs, Alain Decrausaz, visiblement très agacé par la situation: «Ma vision est assez simple, répond ce grand fan, patron d’une société qui soutient le club depuis six ans. Avec la crème qui a été semée depuis le début de saison et le départ de Stucki, la décision penche pour qu’on retire nos billes en tant que sponsor. Et on ne sera pas les seuls, assure-t-il. Parce que c’est inconcevable. Le résultat sportif est une chose, perdre 4-0 cela peut arriver. Mais l’administratif en est une autre. On a le sentiment que quelqu’un essaie, en effet, de casser le jouet. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit à M. Quennec il y a une dizaine de jours, lors d’une séance au Mandarin Oriental, en lui disant qu’il était en train de briser en une année ce que le club avait construit en quinze ans. Je lui ai dit aussi que je ne comprenais pas pourquoi on avait fait venir des docteurs du Canada. Je lui ai demandé comment ils étaient payés et si Chris McSorley était sous tutelle. Il m’a répondu que non. Bienvenue au monde de Walt Disney! Je continuerai à prendre des abonnements mais je me sentirai moins motivé par l’engouement du club.» Et de se poser cette question: «Mardi, lors du deuxième match, vous n’avez pas eu le sentiment que l’équipe avait lâché McSorley? Ce n’était pas le coach habituel que l’on connaît à la bande. A se demander à quel jeu ont joué les têtes pensantes dans le vestiaire.»
Il est vrai que sur la glace, il n’y avait pas vraiment d’adrénaline…
«Non, je ne vais pas remplacer Chris»
Assistant de Chris McSorley à Genève de 2001 à 2008, Hans Kossmann va-t-il revenir aux Vernets dans la peau de l’entraîneur principal? Limogé par Ambri-Piotta le 30 janvier, le Canado-Suisse se trouvait à Zoug jeudi en compagnie de Hugh Quennec. «Le président a même plaisanté avec un fan à la Bosshard Arena en lui disant, sur le ton de la boutade, qu’il allait peut-être remplacer notre entraîneur…» nous confie un des sponsors du club, qui tient à garder l’anonymat. Et si ce n’était pas une plaisanterie? Et si le natif de Vancouver, comme Mike Gillis et Peter Gall, succédait à Genève à son ancien chef? «J’ai vu aussi qu’on parlait de moi dans votre journal, rigole Hans Kossmann. Mais non, je ne vais pas remplacer Chris, c’est un ami.» Mais Hugh Quennec n’est-il pas également un proche de l’ex-boss de la Valascia et de Fribourg-Gottéron? «C’est vrai qu’on s’entend bien et qu’on nous a vus ensemble la semaine dernière à Zoug, reconnaît-il. Mais s’il m’a invité, c’est que Zoug n’est pas très loin d’Ambri. J’en ai donc profité pour aller voir un match avec lui. Mais ne cherchez pas plus loin. Même si on a eu l’impression que ce n’était pas le vrai Chris derrière le banc durant ces play-off, je pense qu’il va rester et qu’il bénéficiera d’une équipe plus forte la saison prochaine pour faire encore mieux. Comme d’habitude.»