4 février 2015

Les décisions de Reto Steinmann ne font pas toujours l’unanimité. Sa sanction récente à l’encontre de Wick en est la preuve

 

De juge unique à juge inique, il n’y a qu’une voyelle, qu’on sonne comme une boutade. Le reflet déformé d’un rôle ingrat, qui cristallise néanmoins toutes les passions. Reto Steinmann, juriste de son état, qui juge le hockey suisse dans l’immédiateté, qui intervient, sanctionne, suspend, est sans doute un acteur indispensable d’un sport qui doit avoir ses garde-fous. Mais sans lui faire de procès d’intention, au-delà de tous les raccourcis paranoïaques, il faut se demander si le mode de fonctionnement est optimal.

 

Une chose est sûre: à la lumière de l’un des derniers épisodes, le doute est permis. On rappelle les faits. A la fin du mois de janvier, après un duel entre Ge/Servette et Lausanne, l’Aigle Jeremy Wick a été suspendu pour six matches par le juge unique Reto Steinmann, qui s’est autosaisi du cas suite à une charge du Genevois sur Daniel Bang.

 

Six rencontres, c’est une très sévère sanction. Le hic, c’est qu’après le recours aussitôt déposé par Ge/Servette, la Commission de recours, sur la base des mêmes images, a ramené la punition à deux matches de suspension. Passer de six à deux dénote tout simplement le problème qui règne: celui de la crédibilité largement entamée quand de telles différences de jugement interviennent. Comment envisager qu’une commission de recours composée de trois juges puisse statuer de la sorte, collégialement donc, sans se demander si l’homme qui a tranché seul en amont et dans l’urgence, pour six rencontres de suspension, n’avait pas tout faux?

 

Derrière ce cas déroutant (mais d’autres existent, ne serait-ce que le cas Picard la saison dernière), c’est tout un modus vivendi qui est remis en question. Moins que le juge unique, c’est le processus décisionnel dans son fond qui suscite l’interrogation. La nécessité de donner à des experts, qui ont joué et connaissent le hockey de haut niveau (ce n’est pas le cas de Steinmann), les clés des sanctions en première instance, resurgit. Le point.

 

«Pour un triumvirat» (Christian Lüscher, Avocat de GE/Servette)

 

Me Christian Lüscher et Me Pierre Ducret sont les deux avocats de Genève-Servette qui ont bataillé devant la Commission de recours de la ligue, ce qui a permis de ramener la suspension de Wick de six à deux matches.

 

Ils ont donc tous deux pointé le doigt sur une sorte de dysfonctionnement, avec un juge unique très loin du jugement final.

 

«Nous ne disons pas que les décisions prises par Reto Steinmann sont systématiquement en défaveur des clubs romands, ce n’est pas le cas», précise Christian Lüscher. «L’idée de prendre très rapidement une décision est bonne, comme l’est la possibilité de faire recours», renchérit Pierre Ducret.

 

Seulement voilà: si la qualité de juriste du juge unique n’est pas à remettre en cause, les deux avocats envisagent un autre mode de fonctionnement.

 

«L’idée d’un triumvirat représentant les trois régions linguistiques collerait bien aux particularités culturelles de notre pays, explique Christian Lüscher. De nos jours, avec les moyens technologiques, les vidéoconférences sont des moyens simples de communiquer. De plus, il serait bon que ces trois personnes fassent naturellement autorité dans le monde du hockey; je pense à des ex-joueurs qui ont l’expérience pour mesurer les gestes et les scènes. On a le droit de penser, maintenant, qu’il est temps de trouver une solution.»

 

Pour cela, il faudrait que les clubs soient d’accord de revoir les statuts. Hugh Quennec, président du GSHC, qui avait déjà avancé cette idée par le passé, relancera-t-il les débats?

 

«Une aberration» (Philippe Bozon Ex-joueur de Genève-Servette et coach de Gamyo Epinal)

 

Philippe Bozon le martèle depuis des années. Joueur de légende à Ge/Servette, puis entraîneur notamment du HC Lugano, le premier Français à avoir griffé les patinoires de la prestigieuse NHL le dit sans détour: «La façon dont on juge et traite les actions des joueurs en Suisse est une aberration. C’est anormal. Selon moi, une personne qui n’a pas de vécu dans le hockey sur glace n’est pas en position de prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre des acteurs qui font vivre ce sport. C’était déjà le cas lorsque j’évoluais dans votre pays et ça l’est encore. Un juge unique, c’est n’est pas la bonne solution. Il faudrait au minimum trois personnes expérimentées et évidemment neutres. Je pense à un ancien joueur ainsi qu’à un représentant des arbitres et des entraîneurs. Ces personnages pourraient dès lors prendre des décisions logiques et sensées. Je n’ai pas suivi de près l’affaire Jeremy Wick mais passer d’une sanction de six à deux matches, c’est rarissime. Je crois même que c’est du jamais vu si je ne m’abuse. Je tiens aussi à souligner un aspect important du jeu. On entend souvent des personnes, qui ne se basent que sur des images vidéo, affirmer que tel ou tel joueur aurait dû stopper son action ou éviter untel. Ce sont des propos totalement déplacés, qui, en plus, sont tenus par des gens n’ayant jamais joué au hockey. Pour se mettre à la place des professionnels, il faut un vécu personnel, c’est pourquoi je prône la mise en place d’un nouveau système de jugement des sanctions en Suisse.»

 

Steinmann sans voix

 

Contacté à son étude plusieurs fois lundi, Reto Steinmann n’était jamais disponible. Nous lui avons laissé des messages rappelant l’importance de le joindre hier au plus tard, la parution de cet article étant prévue pour aujourd’hui. Pas plus de réussite sur son téléphone portable, avant de recevoir hier, sur le coup de 13 h 30, la réponse suivante: «Je ne suis plus à mon bureau. Vous pouvez essayer de m’appeler demain matin (lire mercredi) .» Visiblement, M. Reto Steinmann était peu enclin à parler du cas Jeremy Wick.