20 janvier 2018

Quennec de plus en plus seul, les autorités politiques prudentes, des soutiens excédés, la Ligue suisse aux aguets: le point

 

Laminé par un maelström incessant qui l’emporte dans les tréfonds depuis plusieurs semaines déjà, Genève-Servette reste aux abois. L’apport de 1,2 million annoncé par le trio Quennec-Gillis-Gall a sans doute offert une bouffée d’oxygène à un club exsangue, mais en réalité, l’effort ponctuel représente l’avers et le revers d’une même médaille, toujours frappée du sceau de l’urgence.

 

C’est ici et maintenant que l’avenir de Genève-Servette se joue. En question: non seulement les finances du club grenat, mais aussi son futur sportif, l’un et l’autre étant étroitement liés. On parle là autant de la survie comptable et des solutions à trouver immédiatement que des perspectives qui s’assombrissent toujours pour le contingent. Nathan Gerbe va quitter le club, c’est imminent; Loeffel partira à la fin de la saison, tout comme Riat. Le tout sur fond de tensions internes entre l’entraîneur Craig Woodcroft et ses ouailles (lire ci-dessous). Rien de bon. D’autant plus que la pression s’intensifie en coulisses.

 

La prudence des autorités

 

On le sait aussi, le dossier de la nouvelle patinoire du Trèfle-Blanc est au cœur du problème. Il semble tout cristalliser autour de lui. Les dirigeants ont beau jeu de dire qu’une fois l’aval du Conseil d’État reçu, les investisseurs s’empresseront de verser de l’argent dans les comptes grenat.

 

Comme l’affirmait Sami Kanaan vendredi passé, «le club est pris en otage», tout le monde est dans l’attente d’une forme de blanc-seing. Mais qui ne viendra peut-être jamais. Explications. C’est TBRE Trifolium Capital SA, fondée le 16 mars 2017, qui est la société immobilière prévue pour la construction du complexe du Trèfle-Blanc. Il y a un administrateur unique, M. Szolanski, qui est également présent dans le conseil d’administration de Genève-Servette. En réalité, derrière ce nom, on pourrait bien retrouver les dirigeants du GSHC. On parle de Hugh Quennec, Mike Gillis et Peter Gall, surtout ce dernier en sa qualité de représentant des investisseurs.

 

C’est là que les autorités politiques tiqueraient. Parce qu’elles sont censées accorder une lettre d’intention aux investisseurs de la nouvelle patinoire et donc à cette société anonyme. Autrement dit, il leur faudrait faire confiance à des dirigeants, représentés par un président si décrié, qui ont creusé un trou de plusieurs millions dans les comptes en gérant un club de hockey qui a cette saison un budget de 18 millions. Et ce sont ces mêmes dirigeants qui devraient mener à bien le projet de la nouvelle patinoire pour plus de 350 millions de francs…

 

Il y a là de quoi échauder plus d’un politicien, surtout à la veille d’élections. Une réunion est prévue le 29 janvier entre les investisseurs, les dirigeants du GSHC, la Ville et l’État. Cela promet…

 

Le précédent

 

Il est vrai que concernant Hugh Quennec, pour ne parler que du président, qui détient 100% des actions, les autorités politiques sont plus que jamais circonspectes.

 

Voilà un homme qui a sans doute représenté à un moment l’essor du hockey à Genève. Mais voilà surtout quelqu’un qui a perdu tout crédit lors de son passage désastreux à la tête du Servette FC, de 2012 à 2015. Il était arrivé en sauveur, porté par des soutiens privés en mars 2012. Le club était alors en Super League et devait être européen en mai. Mais Quennec avait multiplié les engagements farfelus (un directeur général gallois payé à prix d’or, un staff britannique pléthorique pour la première équipe ou Pascal Zuberbühler en éminence grise…). Il s’était aussi isolé de tous, sans donner suite à ceux qui auraient voulu l’aider moyennant une entrée dans le capital-actions pour des sommes importantes. Enfin, accroché à ses actions, bercé de ses certitudes, il était allé droit dans le mur, mettant au passage les politiques sous pression en leur demandant pas moins de 7 millions pour des travaux qu’il aurait soi-disant consentis au Stade de Genève et à Balexert. Tout cela s’était terminé devant la Commission des licences, qui avait relégué Servette administrativement, le club de foot évitant la faillite in extremis grâce à la Fondation Hans Wilsdorf, Quennec lâchant enfin ses actions avec un trou de plusieurs millions dans les comptes. Toute ressemblance…

 

La Ligue très inquiète

 

La Ligue suisse est bien sûr elle aussi particulièrement inquiète. Elle a déjà demandé les comptes du club, pour examen approfondi. Selon nos infos, elle aurait aussi exigé le versement de toutes les charges sociales pour la fin de janvier, avec preuve de paiement. Il y aurait plusieurs mois de retard concernant notamment le 2e pilier… Un poids de plus pour le club, pendant que Rapperswil – leader de la Swiss League (2e division) – prépare un dossier au cas où le pire arriverait aux Aigles…

 

Un club de soutien excédé

 

Les soutiens naturels de Genève-Servette sont aussi dans le flou. Certains membres de ces clubs de soutien proches des Aigles versent des sommes importantes, pour aider. Selon nos sources, l’une de ces entités a envoyé une lettre ferme au conseil d’administration. Où il est question d’un ras-le-bol, d’un cruel manque de transparence. Et où il est précisé, à l’endroit du président Quennec, qu’il faut savoir se retirer au bon moment…

 

On en vient même à se demander si les Canadiens Gillis et Gall sont encore sur la même longueur d’onde que le président qui les a fait venir… À vrai dire, on peut en douter. Hugh Quennec semble plus seul que jamais et à l’heure où l’on sait que les tractations s’accélèrent avec le plan de sauvetage défendu par un groupe local, il lui faut peut-être considérer la réalité avec du recul. Et voir l’intérêt de Genève-Servette d’abord.

 

Power-play (Virgulator)

 

L’affiche Les Aigles se rendent ce samedi soir à la BCF Arena pour affronter, pour la sixième fois de la saison, Fribourg-Gottéron. Si les Grenat restent sur un succès aux Vernets (1-0), les Dragons se sont imposés à quatre reprises, dont deux fois dans leur patinoire. Coup d’envoi à 19 h 45.

 

Effectif Blessé le 22 décembre à Zurich, Nick Spaling est de retour dans l’alignement de Woodcroft. Le Canadien remplacera Gerbe, devenu indésirable aux Vernets. Antonietti a encore une fois rejoint l’infirmerie, où il a retrouvé Bays, Descloux, Hasani, Jacquemet, Mercier, Bezina, Vukovic et Schweri. Avec seulement cinq défenseurs valides, dont l’attaquant Wick, les juniors Guebey et Wyniger devraient être du voyage.

 

Après Nathan Gerbe, poussé vers la sortie, à qui le tour? (Grégoire Surdez)

 

Nathan Gerbe ne se rendra pas ce soir à Fribourg. Le petit attaquant américain ne jouera plus avec Ge/Servette. Après un début de saison en deçà des attentes, le joueur était placé sur une voie de garage. Son rapport qualité-prix pose un vrai problème. Avec un salaire net annuel de l’ordre de 350 000 francs, pour un coût réel – lorsque l’on rajoute les charges sociales, les impôts, les assurances, le loyer, l’écolage des enfants, les véhicules – qui est plutôt de l’ordre du million de francs, selon un agent bien informé sur les prix du marché pour ce type de joueur, estampillé NHL.

 

Au vu de la situation financière exsangue des Aigles, le départ de Nathan Gerbe a été acté et négocié. Un arrangement – à défaut d’un club souhaitant reprendre le contrat du joueur – a été trouvé. Dans les faits, Ge/Servette économisera trois mois de salaire pour la saison en cours. En théorie, c’est donc une charge de 300 000 francs qui devrait être soustraite du bilan. Reste à savoir combien aura coûté l’arrangement conclu entre les parties, sachant que le joueur a accepté de renoncer à un contrat encore valable la saison prochaine. C’est donc essentiellement à moyen terme que l’opération Gerbe se fera sentir positivement. Elle n’influera que faiblement sur l’exercice comptable 2017-2018, qui, selon un communiqué du club publié mardi 16 janvier, débouchera sur un déficit de 6 millions au maximum.

 

Le départ de Gerbe est un signal très négatif adressé au public. L’abonné appréciera-t-il que les soldes aient débuté avant même que l’avenir sportif des Aigles ne soit fixé?

 

Alors que l’équipe montre une vraie solidarité sur la glace, le départ de Nathan Gerbe sera-t-il le premier d’une longue série? Le nom de Romain Loeffel est parfois cité au rang des joueurs susceptibles d’être priés d’aller voir ailleurs d’ici au 30 janvier, date limite des transferts pour les joueurs suisses. «J’ai vu ça, sourit l’intéressé. Je ne peux que répéter deux choses. La première, c’est que je veux terminer la saison avec Genève et aller le plus loin possible en play-off. La seconde, c’est que ce n’est pas à nous, joueurs, de devoir faire des sacrifices financiers pour réparer les bêtises des dirigeants.»

 

Garçon intelligent et sensible, Romain Loeffel sait également que tout est possible et qu’un contrat n’offre que peu de garanties. «Je n’ai pas oublié de quelle façon je suis arrivé à Genève, dit-il (ndlr: il avait été échangé à son insu en provenance de Fribourg contre John Fritsche et Jérémy Kamerzin). Je sais depuis lors que les joueurs sont des pions sur un échiquier. J’ai pris quelques précautions lors de la prolongation de mon contrat. Et normalement, on ne devrait pas pouvoir agir sans m’en parler avant.» S’il est donc peu probable qu’il quitte les Vernets prématurément, il rejoindra bien Lugano la saison prochaine. Un départ qui n’aurait rien eu de préjudiciable si un remplaçant avait pu être embauché. Cette incapacité à recruter se confirme avec un autre départ programmé: celui de Damien Riat à Bienne. Lui non plus ne sera pas remplacé.

 

Il apparaît de plus en plus clairement que de grosses tensions entre les joueurs et le coach sont avérées. Au point que plusieurs Aigles en viennent à regretter un certain Chris McSorley. Et il semblerait qu’ils ne soient pas les seuls, les humeurs de Craig Woodcroft ne contribuant en rien à mettre de la joie dans les couloirs de la patinoire.

 

Édito : Maintenant, Quennec doit se retirer (Grégoire Surdez)

 

«Casse-toi Quennec!» Le public des Vernets ne prend pas de gants. Il ne veut plus. Il n’en peut plus. Ras le bol de ce président qui semble être le seul à ne pas prendre la mesure de la gravité de la situation. Plus que jamais, le club est en grand danger. Dans un communiqué publié le mardi 16 janvier, les dirigeants reconnaissent qu’un déficit de 6 millions est programmé pour l’exercice en cours. Sur un budget de 18 millions, le résultat négatif est donc de 33%. À ce niveau, difficile d’évoquer autre chose qu’une grave faute professionnelle. Dans n’importe quelle entreprise, les responsables seraient priés d’en tirer les conséquences. Dans n’importe quel ménage privé, de tels manquements conduiraient, à terme, le chef ou la cheffe de famille au divorce.

 

Hugh Quennec n’en est pas encore là. Pas pour le moment. Et c’est sans doute la seule bonne nouvelle de cet hiver horribilis que traverse son club. Il n’est sans doute pas le seul et unique responsable de la situation. Mais en tant qu’actionnaire unique du club, c’est bien lui qui cristallise ce qui est aujourd’hui bien plus qu’un simple malaise. Le patient GSHC est aux soins intensifs. Et c’est du président seul que peut venir le salut. Le remède? Qu’il accède au cri du cœur des fans.

 

On sait qu’un groupe de repreneurs, tous très bien implantés dans le tissu économique local, a mis en place un plan de reprise. De sources concordantes, ce «plan B» devrait non seulement permettre au club d’éviter le naufrage mais également lui permettre de voir l’avenir avec une bonne dose d’optimisme.

 

Cette révolution de palet est conditionnée au bon vouloir et à la clairvoyance d’un président qui pourrait très vite se retrouver totalement esseulé. Car il apparaît désormais possible que les investisseurs du complexe du Trèfle-Blanc, qu’il avait lui-même convaincus de s’engager à ses côtés, cherchent à se retirer. Ils ont sans doute compris que tant que Hugh Quennec garde le puck dans son camp, le club va droit dans le mur.