29 novembre 2017

Si les investisseurs ne sont pas officiellement confirmés pour porter le projet, sans concours, ils quittent le navire…

 

Cela ressemble à un ultimatum, mais ce n’en est pas un. Plutôt la chronique d’un découragement, un constat d’échec face à un blocage. Jeudi, le comité de pilotage de la nouvelle patinoire du Trèfle-Blanc, présidé par Anne Emery-Torracinta (DIP), se réunit. Pour les investisseurs qui se proposent de porter seuls un projet qui dépasse les 300 millions de francs (avec un apport de fonds propres de 150 millions), c’est le bout du chemin. Pour résumer la situation: soit ils sont confirmés officiellement comme étant ceux qui financeront le projet, sans mise au concours d’aucune sorte puisqu’ils prennent la totalité des coûts à leur charge, soit ils se retirent, de guerre lasse…

 

Comment en est-on arrivé là? Les autorités politiques genevoises ont-elles une part de responsabilité dans le blocage qui s’installe et qui semble augurer du pire, tant pour le Genève-Servette Hockey Club que pour le projet de nouvelle patinoire? Bref, à qui la faute? À ces autorités trop tatillonnes face à des investisseurs qui leur proposent une nouvelle enceinte clés en main et gratuite pour la collectivité? Ou aux investisseurs, qui remanient leur projet au dernier moment, tant sur le plan du financement que du dimensionnement?

 

Les mots qui bloquent tout

 

En réalité, tout tourne autour d’une seule formulation alambiquée dans le cinquième paragraphe du communiqué de presse conjoint de l’État de Genève, de la Ville de Genève et de la Ville de Lancy. Il est daté du 30 juin 2017 et tout s’est figé pour les investisseurs quand ils ont lu que le comité de pilotage informait de «la nécessité d’un appel d’offres pour une concession de travaux en cas de partenariat public-privé».

 

On traduit: les autorités ont signifié qu’elles allaient faire, pour le projet du Trèfle-Blanc, un appel d’offres incluant les investisseurs. C’est ce que veut dire ce passage. Il est à l’origine du blocage actuel. Il n’est pas tombé de nulle part. Par le biais du Département des finances, les autorités genevoises ont en fait demandé un avis de droit, qui a conclu qu’il devait y avoir un appel d’offres. Le problème, c’est que deux autres avis de droit, demandés à des experts indépendants par les tenants du projet, aboutissent à une conclusion opposée.

 

D’abord, il est étonnant que les autorités politiques aient mentionné leur intention de passer par un appel d’offres aussi tard. Elles ont rencontré à plusieurs reprises les investisseurs et/ou leurs représentants. Même dans les premiers temps, où il était question d’une participation publique dans le financement (15 millions pour l’État, 5 millions pour la Ville), une mise au concours des investisseurs, qui apportaient quant à eux plus du 90% du coût total, n’a pas été évoquée.

 

Pas plus lors du si long travail de «due diligence» qui a vérifié la surface financière des investisseurs, l’origine des fonds et leur capacité à réaliser le projet. La firme Ernst & Young a conclu que tous les voyants étaient au vert. Pas si vert que cela apparemment pour les autorités, qui ont donc demandé un avis de droit à un professeur qui n’avait pas encore à disposition, à l’époque, la globalité du complexe qui dépasse le cadre d’une simple patinoire ou le caractère 100% privé du financement. C’est ce que rappelle Me François Bellanger. Il est sans doute partie prenante, puisqu’il est le conseil du groupe d’investisseurs. Mais sa spécialisation dans ce genre de dossier lui permet de s’exprimer et de présenter sa vision du cas.

 

«Il y a eu trois avis, explique-t-il. D’abord, celui de Me Bertrand Reich, qui a conclu en l’état du droit actuel que la mise au concours de l’investisseur n’est pas une obligation. Ensuite, il y a celui du professeur Jean-Baptiste Zufferey, un collègue que je connais bien. Il a estimé que dans le cas d’une patinoire nécessaire pour la politique cantonale des sports, on pouvait considérer qu’on était dans le cadre d’une délégation de tâche publique et donc qu’il fallait passer par un appel d’offres. Cet avis se fondait sur le projet de 2015, qui comprenait un financement public pour la construction et l’exploitation. Il n’avait pas tous les éléments du projet 2017 et donnait à la patinoire un rôle qui ne correspondait pas à la réalité du terrain. Enfin, il y a l’avis du professeur Valérie Défago Gaudin. Elle fait une synthèse de la situation juridique en ayant connaissance du projet actuel. Elle conclut sans la moindre hésitation qu’il n’y a pas besoin de faire un appel d’offres. Je partage cette analyse: un appel d’offres n’est ni nécessaire ni obligatoire, et je serais très à l’aise pour défendre cette position, c’est la seule décision juste. Et je ne le dis pas en tant que représentant des investisseurs mais en tant que spécialiste du droit des marchés publics.»

 

Les risques réels

 

On en est donc là. Avec une réunion ce jeudi qui décidera de l’avenir. De la patinoire. Mais pas seulement. Genève-Servette, qui a fait sa part en trouvant les investisseurs pour la nouvelle enceinte, pourrait être durement impacté.

 

Premier dégât: découragés, les financiers réunis autour de Peter Gall jettent l’éponge, tout lien de confiance étant rompu. Genève se retrouve sans projet et, à moins de trouver immédiatement de nouveaux investisseurs, avec la nécessité de construire une nouvelle patinoire. Aux frais du contribuable? Parce que c’est une nécessité: en l’état, les Vernets ne sont pas à la hauteur des exigences de la Ligue. Deuxième dégât, collatéral: parce que tout est lié, Ge/Servette, en voyant le groupe d’investisseurs partir de Genève, voit également Mike Gillis quitter le club, lui qui devait en devenir l’homme fort en rachetant 50% des actions de Hugh Quennec. En résumé: Hugh Quennec serait alors à nouveau le seul interlocuteur aux commandes, alors que les autorités politiques ne lui portent qu’une confiance très limitée depuis son passage désastreux à la tête du Servette FC. Et le club, en proie à des difficultés financières, serait dans une posture dangereuse. À moins que Chris McSorley ne sorte un lapin de son chapeau…

 

La position des autorités

 

Nous avons contacté la conseillère d’État Anne Emery-Torracinta (DIP, en charge des Sports) sur la question de la nécessité d’un appel d’offres. Réponse: «Tout ce qui a trait à la construction ne dépend pas de mon département, mais de celui des Finances (…), c’est le DF qui s’occupe de l’investissement, des appels d’offres, du suivi des travaux, etc. Toutes les questions liées à ces aspects doivent donc être posées au département concerné.»

 

Contacté, le Département des finances nous a également répondu: «Un avis de droit émis par un éminent professeur spécialisé dans les marchés publics a effectivement conclu que le projet devait faire l’objet d’un appel d’offres en cas de partenariat public-privé. Le DIP, en tant que chef de projet, possède bien entendu cet avis de droit. (…) Dans le cas présent, c’est bien le DIP (M. Hug) qui est chef de projet et qui préside le groupe de travail au sein de l’État.» On se renverrait le puck qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

 

En attendant, la réunion de la dernière chance a lieu ce jeudi…

 

Des avis contradictoires

 

Nous nous sommes procuré l’avis de droit commandé par les autorités genevoises. Ainsi que les avis de deux autres experts. Voici les conclusions résumées.

 

L’avis de Me Jean-Baptiste Zufferey, demandé pour le compte des autorités: «(…) l’octroi de la concession de travaux doit faire l’objet d’une mise en concurrence car la Société de projet poursuit une tâche publique en vertu de la réglementation genevoise sur les sports, les infrastructures sportives et le sport à l’école. Le nouveau plan d’affaires 2017 ne permet pas d’échapper à cette conclusion. Seul un retrait complet de l’État modifierait l’analyse.»

 

L’avis de Me Bertrand R. Reich stipule au contraire qu’«il n’existe pas d’obligation de mise en concurrence, qui découle de la législation en matière de marchés publics». Donc que l’État peut «librement choisir l’investisseur qui concevra, réalisera, détiendra et exploitera la patinoire et tout autre immeuble et/ou installation».

 

Enfin, l’avis de Me Valérie Défago Gaudin relève que «le projet PPP Trèfle-Blanc présenté par des investisseurs privés n’est pas soumis au droit des marchés publics. Il ne constitue pas plus une concession de travaux qui nécessiterait un appel à candidatures. À mon sens, le Canton de Genève devrait donc pouvoir traiter directement avec les investisseurs.»