3 mars 2016

Ce sera encore le cas aujourd’hui pour le début des play-off contre Fribourg (20 h 15 aux Vernets), les jours de match de l’homme-orchestre de Ge/Servette sont sans fin. Nous l’avons suivi. Récit

 

On m’a dit: «Passe une journée avec Chris McSorley, histoire de voir comment ça se passe, les jours de match notamment.» «OK patron.» Il aurait peut-être juste fallu me prévenir. Une journée avec Chris McSorley, c’est une vue de l’esprit. Jésus-Christ multipliait les pains, «Jésus Chris», lui, multiplie les tâches dans une espèce de miracle quotidien. L’homme à tout faire de Ge/Servette est un personnage hors norme qui est capable d’absorber une quantité assez invraisemblable de travail. Père de famille, entraîneur, manager, gérant de restaurant, coach, acteur, Père Fouettard, charmeur de serpents, séducteur, œnologue, marchand de rêves… Si on m’avait prévenu, j’aurais sans doute suivi un petit stage commando, histoire d’aborder au mieux cette fameuse journée (extra) ordinaire dans la vie de Chris McSorley…

 

C’est vendredi dernier que le rendez-vous a été fixé. «Comme c’est le cas tous les jours, j’arrive vers 6 h 30 à la patinoire!» nous avait-il avertis. «Pardon? Vous avez bien dit 6 h 30?» Ame charitable, toujours soucieux du bien-être de ses invités, il nous propose de faire l’impasse sur cette première étape. «Ce n’est pas très intéressant, nous dit-il. Je suis dans mon bureau et je prends connaissance des dernières nouvelles. Je lis mes mails. Et je regarde les résumés des matches de NHL. Venez plutôt vers 8 h 30 pour prendre le petit-déjeuner, en haut, avec les joueurs.» Un grand homme, ce Chris…

 

Le jour J, il nous accueille dans le couloir reliant son bureau aux vestiaires. Une tasse de café dans une main, une assiette bien garnie (œuf brouillé, viande de dinde fumée, tartines, fruits frais, tout cela mis en place par Ela, la nutritionniste suédoise du club) dans l’autre. «Allez donc prendre quelque chose en haut, lance-t-il entre deux bouchées. Revenez dans 45 minutes, nous discuterons un moment avant d’aller sur la glace pour le warm-up.»

 

C’est calme une équipe de hockey, le matin. Les Aigles sont réunis dans le restaurant VIP de la patinoire. Les tables sont souvent remplies de la même façon. Entre habitudes, superstitions et surtout affinités, les groupes bougent peu d’un jour à l’autre. Ce petit-déjeuner est obligatoire depuis plusieurs saisons et c’est un rendez-vous qui fait l’unanimité. Personne n’est étonné de voir deux intrus se pointer timidement au buffet. A force de se côtoyer tout au long de la saison régulière, on finit par s’apprivoiser. Et puis, à Genève, presque plus rien n’étonne les joueurs. «Nous sommes un club unique en Suisse, aime à rappeler Chris McSorley. Nous offrons une véritable proximité entre le public et l’équipe. Cela est vrai avant le match et après le match. Ce lien qui nous unit avec les spectateurs, nous le ressentons très fortement dans le soutien que nous recevons pendant les matches.»

 

Lorsqu’il est arrivé en Suisse, en 2001, Chris McSorley a eu tendance à tout bousculer sur son passage. Il a fortement contribué à remuer un milieu très enclin à se regarder le nombril. Ses coups de gueules, ses coups de poker, ses coups – tout court – sur le marché des transferts ont bâti une partie de sa légende. Mais c’est sans doute hors glace que l’homme a le mieux appris à vendre son club. Avec Hugh Quennec, il a développé un réseau pour associer la marque GSHC à diverses œuvres et associations. Il en résulte une cote de popularité impressionnante à Genève. Longtemps détesté une fois qu’il avait franchi la Versoix, Chris McSorley a même réussi à inspirer, sinon la sympathie, tout du moins le respect ailleurs en Suisse.

 

Les joueurs, eux, sont habitués à faire de la représentation dans les endroits les plus divers et variés. «C’est le jeu, à Genève, disent-ils. On sait, en signant ici, comment ça se passe.» Vestiaires ouverts après le match, visite de VIP, présence obligatoire au pub de la patinoire après la rencontre… Des instants précieux, d’autant plus appréciés lorsque la soirée se termine par un succès. Ce vendredi-là, d’ailleurs, c’est Fribourg-Gottéron qui est attendu pour l’avant-dernière ronde de la saison régulière. Un match à prendre très au sérieux contre un adversaire que les Aigles ont de grandes chances de retrouver en quarts de finale des play-off (et ce sera effectivement le cas) .

 

Dans son bureau, Chris McSorley attache un patin, lit deux e-mails, répond au téléphone et devise avec son adjoint Louis Matte. «Les jours de match, l’entraînement est léger, dit-il. Nous mettons au point quelques détails, c’est tout. Les joueurs légèrement blessés ne montent pas sur la glace. J’adore les jours de match. L’ambiance autour de l’équipe est très calme. Il y a une atmosphère particulière qui règne aux Vernets. A peu de chose près, j’ai dû vivre 1800 jours comme celui-ci dans ma carrière de coach, et c’est à chaque fois comme si c’était le jour de Noël.» Son plus beau cadeau? «Le sourire des gens lorsque nous gagnons le soir venu…»

 

Le Canadien de 53 ans attache son deuxième patin. Tous les jours, les mêmes gestes, ou presque. De quoi nourrir de temps en temps une certaine lassitude? «Jamais! Pas une fois je n’ai regretté de m’être levé pour venir ici. Le jour où je ressentirai cela, je ne serai plus la bonne personne pour diriger ce club. Vous savez, coach de hockey, c’est une passion. Si vous sentez que ça devient un job, c’est presque déjà trop tard…»

 

Trente minutes de glace et quelques coups de sifflet plus tard, il est de retour dans son bureau spartiate. Cette «deuxième maison» est ornée de quelques souvenirs: des photos des plus beaux moments de sa carrière d’entraîneur à Genève, une réplique de la Coupe Spengler qu’il a gagnée à deux reprises avec les Aigles; on est bien loin d’un bureau de PDG niché en haut d’une tour. Ici, ça sent la sueur froide. Ça sent le hockey.

 

Chris McSorley va enlever son costume de hockeyeur. «Nous avons rendez-vous à Carouge (ndlr: un endroit où il a longtemps vécu et qu’il adore) avec Eva, mon épouse.» Un lunch, des mots, des regards échangés avec l’ancienne patineuse professionnelle avec qui il a eu un garçon, Aidan. «Ensemble, on parle de tout sauf de hockey, dit-il. C’est une soupape importante. Elle le sera encore plus lorsque nous aurons commencé les play-off et que les matches s’enchaîneront tous les deux jours.» On laisse les tourtereaux. Rendez est pris à 16 h 30. De retour aux Vernets, Chris McSorley remet la machine en route dans la salle de force. Indiciblement, lentement, il devient moins disert. Pour un peu, on pourrait presque toucher du bout des doigts la bulle dans laquelle il pénètre. Il ne charme plus. Il ne rigole plus.

 

Son discours aux joueurs sera bref. «A ce stade de la saison, il n’y a pas grand-chose à dire, reconnaît-il. J’insiste sur les points essentiels et je rappelle certains principes.» Au fond du couloir, le murmure de la foule se fait entendre. Un puissant «Lets’s go boys» jaillit du vestiaire. L’Aigle géant crache les joueurs les uns après les autres sur la glace. Pendant plus de deux heures et demie, le cœur de l’Ontarien va battre à un rythme infernal. Ce n’est plus le même homme (lire ci-contre) . Pour retrouver le Chris McSorley affable, il faudra prolonger la soirée dans le pub qui porte son nom.

 

Il y a un peu de Christian Constantin en Chris McSorley. Il faut le voir lorsqu’il débarque les soirs de match dans son Steak house. Il fend la foule, serre des mains, embrasse des connaissances, prend la pose pour un selfie avec un fan et prend place sur la table centrale. C’est à chaque fois le même cérémonial. Des bouteilles de bon vin rouge et des chopes de bière sont alignées. Le menu ne varie pas – belle pièce de bœuf saignante, pommes allumettes. «Beaucoup de contacts se nouent lors de ces soirées, admet-il. Mais je ne prends jamais de décision importante concernant le club.» A la table de l’empereur, c’est le défilé. Bon prince, il régale l’assistance et sustente les visiteurs qui viennent à lui. Il y a des sponsors, des agents, des supporters lambda et parfois même des journalistes, paraît-il…

 

Il est une heure trente du matin. Les yeux de Chris sont rouges. Les nôtres sont lourds. «Merci vraiment de m’avoir accompagné toute la journée, c’est un honneur, nous dit-il. Je dois maintenant vous laisser pour aller dormir quelques heures. Nous avons un dernier match à jouer à Lausanne.»

 

Samedi matin, à 6 h 30, il paraît que la barrière du parking était au garde à vous. Pas nous! 

 

Sur le banc des Aigles, au cœur du jeu

 

C’est parti sur une boutade, c’est devenu une réalité. Au moment d’évoquer avec lui cette journée durant laquelle nous n’allions pas le lâcher, nous lui avions dit: «Même sur le banc, pendant le match!» Il avait dit: «Oh yes, for sure! » De la parole aux actes nous nous sommes retrouvés au cœur du jeu. Des instants rares, précieux. Au niveau de la glace, le bruit est totalement différent. On entend les patins qui crissent, les cannes qui s’entrechoquent et les joueurs qui s’interpellent. Restons concentrés.

 

Objectif No 1? Ne pas se «ramasser» un puck. Les bancs des équipes sont dans les lignes de dégagement, il faut donc avoir l’œil vif. Mission accomplie, j’ai 42 ans et toujours toutes mes dents. Objectif No 2? Se fondre dans le moule du parfait technicien. Sourcils légèrement froncés, chewing-gum mastiqué, bras croisés. Mission accomplie, personne n’a vraiment remarqué ma présence, c’est plutôt bon signe. Objectif No 3? Ne pas se laisser aller contre les arbitres. Facile, mon mentor s’en est chargé lui-même. Objectif No 4? Agir comme le porte-bonheur. Raté sur toute la ligne: Fribourg ouvre le score par Ryan Gardner à la 10e minute. Puis c’est la glace qui se rompt dans un coin. Arrêt de jeu. Interminable. Fin de la première période, les Aigles sont menés. Je doute, forcément, de mes capacités de meneur d’hommes. Et je jette l’éponge en milieu de période médiane. Mon bilan d’assistant coach sera négatif à jamais. Ma carrière est finie.

 

De retour en tribune, c’est alors que le miracle a lieu. Ge/Servette retourne le match comme une crêpe. Et un, et deux, et trois, et quatre, et cinq à un! Jamais je n’aurais imaginé que ma présence sur le banc puisse à ce point tétaniser Matthew Lombardi et Cie… Cette expérience inédite, cette immersion dans l’intimité d’une équipe, restera unique. Le banc, comme le vestiaire, est un sanctuaire dans lequel on ne devrait pas pénétrer. Les mots incessants de Chris McSorley ne sont pas à mettre dans toutes les oreilles. La douleur du hockeyeur qui souffre en silence doit lui appartenir. La phrase de l’un à l’autre qui doute ne devrait pas non plus être captée au vol par un intrus.

 

Le maître de cérémonie, lui, ne s’en soucie guère. Chris McSorley pendant un match, c’est un spectacle à lui tout seul. Il ne voit que le jeu, rien que le jeu. «Vous êtes venu pendant un tiers et demi sur le banc? Vraiment?» Oui à deux mètres de lui.

 

A 53 ans et après avoir dirigé plus de 1800 matches, le feu est intact. Il ne lâche jamais ses joueurs. Le langage est aussi simple que fleuri. On imaginerait volontiers Chris McSorley en passeur de savon patenté. Mais le Canadien est davantage un motivateur et parfois même un pédagogue (!) avisé. Ses vrais coups de gueule, il les réserve à l’intimité du vestiaire. 

 

Une journée, le film

 

Vidéo Chris McSorley qui ouvre les portes. Toutes les portes. Il fallait bien l’objectif du photographe et vidéaste de notre rédaction Georges Cabrera pour immortaliser cette journée (extra) ordinaire dans la vie de l’homme-orchestre des Vernets. Grâce à un joli film de plus de cinq minutes, on accompagne Chris McSorley, l’homme aux mille métiers. De son bureau à la glace, il serre des mains, répond aux appels, scrute son écran, siffle ses ordres à ses joueurs, invective les arbitres. Le hasard faisant bien les choses, c’est vendredi dernier contre Fribourg que nous avions choisi de pénétrer dans l’intimité du club. Et c’est justement cet adversaire qui se présentera ce soir sur la glace des Vernets pour l’acte 1 des quarts de finale des play-off. Rien de tel, donc, que de se replonger au cœur d’un Ge/Servette-Fribourg pour se mettre dans l’ambiance et passer en mode play-off. Silence, ça joue!

A voir sur: www.filmgs.tdg.ch 

 

L’essentiel

 

Rythme infernal La semaine de 35 heures, ce n’est pas vraiment pour lui. Chris McSorley est arrivé à 6 h 30 aux Vernets. Il est rentré chez lui à 1 h 30 du matin. Condition physique irréprochable exigée pour tenir le choc.

 

Sur le banc Sueur, souffle court, mots du coach qui sifflent dans les oreilles, nous avons passé plus d’un tiers sur le banc vendredi dernier. Impressionnant!

 

Film Un film d’une durée de 5’ 30’’ de cette folle journée est à voir sur notre site Internet: «www.tdg.ch»