19 mars 2018

Les Aigles sont revenus à leurs fondamentaux pour s’éviter une sortie humiliante. Et s’ils gagnaient aussi le prochain match?

 

Un match. Rien qu’un match. Une patinoire chauffée à blanc. Et des enragés, échauffés à coups de rouge ou de vin mousseux, qui vocifèrent dans la tribune VIP. Un adversaire honni, un homme haï, Daniel Ruefenacht, qui se ramasse une pluie d’insultes et un vilain crachat au moment de regagner le vestiaire. Un geste aussi stupide que lâche… «Cela n’a rien à faire dans une patinoire, lâche dépité l’attaquant du SCB. Les choses se règlent sur la glace, pas ailleurs.» Le SCB ne donnera pas suite à ce geste «au-dessous de la ceinture» qui ne changera pas le cours d’une série qui ressemble enfin à une vraie série de play-off.

 

Véritable bête de scène, le No 81 des Ours a sans doute apprécié cet acte IV qui avait enfin le goût véritable de ces matches à la vie à la mort. Quand il faut aller frapper, gratter, provoquer, il ne se défile pas. Seulement voilà, depuis le début de la série, Daniel Ruefenacht ne trouvait même pas à qui parler. Mais ça, c’était avant. Avant que les Aigles n’entrent enfin dans ce quart de finale. «On était tous morts de faim, lâche Floran Douay. Nous sommes rentrés sur la glace avec une seule idée en tête: aller chercher la victoire pour éviter de passer pour des guignols devant nos fans, notre public.»

 

État d’esprit irréprochable

 

Le jeune attaquant français (à licence suisse) symbolise à merveille ce que doit être Ge/Servette pour espérer être autre chose qu’un aimable sparring-partner du double champion de Suisse en titre. «Flo», c’est un état d’esprit irréprochable quel que soit son positionnement. En quatre matches, il a changé trois fois de ligne et quatre fois de coéquipiers. «Mais ce soir, on s’est parfaitement entendus avec Tanner Richard et Juraj Simek, dit-il. Globalement, on avait des lignes très équilibrées, toutes capables de créer le danger.»

 

Créer le danger et défendre… Pendant deux tiers, c’est tout Ge/Servette qui a patiné avec la même intensité que son attaquant No 72. C’est tout un groupe qui a su contenir (enfin!) son adversaire en opérant un travail de sape dans la zone médiane de la surface de jeu. Sans vitesse, bousculé, pris à froid par l’ouverture du score de Jeremy Wick, Berne aurait presque pu paraître peu concerné par cet acte IV s’il n’y avait eu cette terrible réaction vue dans les vingt dernières minutes (23 tirs à 8 en faveur des Bernois!). Une hypothèse balayée par Jérémy Kamerzin. «Pas un seul joueur dans notre vestiaire ne se présenterait sur la glace avec en tête autre chose que la volonté de gagner. Nous n’avons pas spécialement envie de faire des matches en plus. Et puis, une telle attitude serait un immense manque de respect de l’adversaire.»

 

Il faut donc bel et bien replacer cette victoire à sa juste valeur. «Sur la physionomie du match, il n’y a pas grand-chose à dire. C’est vrai qu’en fin de match, on aurait peut-être pu faire tourner les choses en notre faveur. Mais il faut reconnaître que Ge/Servette a mérité sa victoire.»

 

Un coup d’œil sur l’histoire

 

Dos au mur, au bord du précipice, plus de droit à l’erreur, avec le fusil sur la tempe: comment les Aigles ont-ils su faire fi des clichés pour se libérer, enfin? «On a un peu regardé les historiques, surtout en NHL, des équipes qui ont réussi à revenir dans une série. On a surtout analysé comment elles avaient fait. La clé passe essentiellement par le travail défensif et par une préparation mentale particulière. Il faut arrêter de penser à la série. On joue chaque match avec comme unique idée de pouvoir en jouer un autre. On ne pense pas plus loin.» Double buteur, Jeremy Wick abonde dans le même sens que son coéquipier. «Chaque match est une série au meilleur d’un match», image-t-il.

 

Et l’on repense à la métaphore lancée par John Gobbi lors d’une série de quart de finale contre Fribourg Gottéron en 2010 dans laquelle les Aigles étaient menés 3-1: «Lorsque vous voulez manger un éléphant, il faut le dévorer pièce après pièce.» Les Aigles avaient dégusté le Dragon dans un service à trois plats. Seront-ils capables de refaire le coup contre un adversaire autrement plus coriace? «Nous avons relevé la tête pour enfin gagner un match de play-off et éviter de passer pour des guignols comme l’an passé, lance Floran Douay. Maintenant, on doit reproduire la même performance sérieuse et solide à Berne pour offrir encore au moins une belle soirée à nos fans, aux bénévoles, à tout le public et tous les gens qui aiment ce club.» Un match. Juste un match.

 

Quand Craig Woodcroft ouvre les yeux

 

Il aura fallu trois matches et autant de déroutes pour que Craig Woodcroft trouve ce qui ressemble fortement à un début de solution. Le coach canadien a enfin ouvert les yeux pour constater que Dominic Forget n’était pas un étranger de LNB par hasard, et que si Vincenzo Küng n’avait convaincu personne cette saison à La Chaux-de-Fonds, ce serait compliqué de le faire à Genève, pendant une série de play-off face à la meilleure équipe du pays. Et puis, le technicien a enfin compris que la place de Romain Loeffel la plus utile pour l’équipe était nulle part ailleurs qu’en défense. Qui d’autre en LNA aurait pu choisir de sacrifier son meilleur défenseur suisse pour remplacer Noah Rod, suspendu, en attaque, alors que bien d’autres solutions existaient? On peut tourner la chose dans tous les sens, poser la question à d’éminents spécialistes, dirigeants, anciens joueurs de LNA et même de LNB, à part l’avocat du diable, personne ne prendrait pareille décision.

 

Il faut donc donner tout le crédit à Craig Woodcroft d’être revenu sur terre. Comme certains de ses joueurs, il sait et sent sans doute que ses jours à la bande de Ge/Servette sont comptés. Et comme ses ouailles, il a enfin pris les décisions idoines. Avec un alignement une nouvelle fois inédit mais équilibré pour le coup. Il a placé ses hommes dans les meilleures conditions pour réagir et s’exprimer au mieux. Rendons donc à Craig ce qui appartient à Woodcroft.

 

Un coach qui s’offre un sursis grâce à l’état d’esprit de tout un groupe et pas uniquement par la résurrection de quelques individualités, aussi talentueuses soient-elles (Mayer, Romy, Da Costa, pour ne citer qu’eux).