7 mars 2016

Ge/Servette renverse Fribourg et mène 2-0 dans un quart bien embarqué. Il y a eu de la sueur et du sang, les play-off ont commencé

 

Le Dragon s’est réveillé. Pour mieux se rendormir. Sa prestation jeudi dernier aux Vernets avait suscité une levée de boucliers dans les médias romands qui appelaient de leurs vœux presque unanimes à un réveil de la bête. Ils ont été entendus. Il y a eu du sang, de la joie, des larmes et de la douleur, samedi soir dans une BCF Arena chauffée à blanc. Il y a eu des buts, des retournements de situations, du suspense. Oui, les play-off ont enfin commencé. Et ce duel romand s’est trouvé un héros et un zéro. Ainsi vont les séries qui révèlent la nature des hommes.

 

Le héros de cet acte II porte une grille qui ne dissimule que son visage. Son courage, lui, éclate au grand jour de match en match. Arnaud Jacquemet, qui joue depuis le début des play-off avec une triple fracture de la pommette, ne se contente pas de faire le nombre. Aligné en défense, cet attaquant de métier donne un sens concret au mot sacrifice qui est si souvent galvaudé dans des discours lénifiants. C’est lui qui a porté le coup fatal dans une prolongation par ailleurs dominée par des Aigles clairement plus costauds sur la durée.

 

Fraîcheur physique

 

C’est cette fraîcheur physique supérieure qui explique la limpidité de l’action empreinte de la lucidité des acteurs de ce petit chef-d’œuvre. Kevin Romy, passe lobée, Tim Kast, altruiste là où bon nombre de joueurs auraient tiré, et Arnaud Jacquemet, solidement installé devant le but pour conclure, se sont unis pour écrire un petit bout de l’histoire de cette série.

 

Une série qui aura sans doute vécu un tournant quasi définitif lorsque le zéro de la soirée s’est illustré de bien triste manière. Contrairement à «Arnaud le héros», Julien Sprunger ne porte pas de grille et son casque jaune ne dissimule rien. A la 33e minute, il s’est offert le scalp de Daniel Rubin dans un assaut aussi maladroit que violent. Penaud devant sa victime étendue sur la glace, le capitaine – vous savez, celui par qui l’exemple doit jaillir dans une équipe – des Dragons est vite allé se cacher sur son banc. Pour mieux échapper à d’éventuelles représailles des Aigles et pour se faire oublier des arbitres. Un comportement qui résonne comme un aveu de culpabilité. Pendant les dix minutes d’interruption qui ont été nécessaires pour soigner et évacuer Daniel Rubin, le top scorer fribourgeois aura sans doute eu le temps de regretter ce geste imbécile qui devrait lui coûter cher.

 

Victime d’une triple fracture de l’os orbital gauche, Daniel Rubin devrait être opéré aujourd’hui après consultation d’un spécialiste. Sa saison est-elle terminée? Sans doute. Comme devrait l’être celle de son agresseur qui ne devrait pas échapper aux foudres du juge unique de la ligue nationale. Mais le conditionnel reste de mise tant les décisions de M. Steinmann peuvent parfois confiner au ridicule. Alors, peu importe finalement si Julien Sprunger est hors-jeu ou pas. «Ce n’est pas vraiment de notre ressort, dit Arnaud Jacquemet. Ce qu’il faut retenir de ce match, c’est notre force de caractère et notre début de match manqué. Mardi, il faudra partir fort, comme s’il y avait 0-0 dans la série. Il faudra d’ici là regarder à la vidéo ce qui n’a pas fonctionné dans notre jeu en infériorité numérique pour corriger cela. On ne pourra pas donner à chaque fois des buts comme ça et revenir ensuite de nulle part.»

 

En Nouvelle-Zélande…

 

Il aura donc fallu un concours de circonstances particulier pour que la partie bascule. «C’est évident que quand tu vois partir un coéquipier sur une civière, il y a deux façons de réagir, dit Tim Kast. Soit tu es choqué et tu joues en dedans, soit ça te motive encore plus. Nous sommes patiemment revenus. Jusqu’à cette égalisation extraordinaire de Kevin Romy. Moi, je mets un but comme ça, j’arrête ma carrière. Sa feinte de tir est géniale, les trois défenseurs sont en Nouvelle-Zélande sur le coup… Et ensuite le tir est juste parfait.»

 

Le Dragon s’est réveillé. Il a donc mené de trois longueurs. Et puis, il s’est rendormi. Poussant même la coquetterie jusqu’à concéder cette égalisation alors qu’il évoluait en supériorité numérique (faute inexistante de Goran Bezina, comme le reconnaîtra l’arbitre Marc Wiegand en quittant la patinoire)! «On s’attendait à ce genre de match, dit Kevin Romy. Il faut maintenant continuer sur notre lancée pour ne pas permettre à Fribourg de se relancer. Mais ce sera dur pour eux car nous sommes très solides aux Vernets.»

 

Il ne faudra pas compter sur les Aigles pour réveiller le Dragons. D’autres s’en chargeront peut-être… 

 

«On va se relever!»

 

Il n’a pas eu besoin de sortir le blush pour maquiller ses sentiments. Gerd Zenhäusern avait le masque après que ses hommes eurent laissé passer cette chance incroyable d’égaliser dans la série. Après avoir reniflé l’enjeu avec volupté et intensité (3-0 à la 22e), ce Dragon en feu a fini par s’éteindre à 40 secondes de la fin. «On a déjà vécu pas mal de fois cette situation cette saison, constate désabusé le mentor de Gottéron. C’est un bon shoot de Romy, certes, mais on joue à cinq contre quatre, on n’a pas le droit de leur donner l’égalisation. Il restait moins d’une minute à jouer, on devait gérer…» Et voilà le 6e duel d’affilée remporté par les Aigles! «Je ne crois pas qu’on fasse un complexe contre Genève, assure le coach de Saint-Léonard. Je pense plutôt qu’on était trop sûr de notre affaire alors qu’à la 60e on évoluait en supériorité.» Cela s’appelle suffisance ou peur de gagner. Le boss n’en veut pas non plus à Ngoy qui a manqué son dégagement dans la prolongation. «Mais à tout le monde, soupire-t-il. Là, cela fait un peu mal, mais on va se relever. On n’a pas le choix!» Réponse demain aux Vernets. 

 

Quand on ne sait pas, on ne frappe pas

 

«Il ne sait pas patiner!» Voilà le refrain qui accompagne chaque présence sur la glace de Julien Sprunger lorsqu’il affronte Ge/Servette. Hockeyeur talentueux, le capitaine de Fribourg-Gottéron n’est pas apprécié par les fans des Aigles. Normal. C’est le jeu. C’est sans doute ses nombreux buts qu’il a souvent inscrits dans les instants décisifs qui ont nourri le ressentiment des Genevois à son égard. Mais c’est aussi et surtout sa propension à se retrouver par terre au moindre contact qui peut agacer. Pas facile de maîtriser cette grande carcasse lors on est bousculé… «Il ne sait pas patiner», chantent donc ses détracteurs.

 

Il faudra sans doute changer de disque pour entrer dans un registre nettement moins bon enfant. Car Julien Sprunger ne fait de mal à personne lorsqu’il s’emmêle les pinceaux. En revanche, l’homme est un danger public lorsqu’il essaie d’user de son physique pour mettre en échec ses adversaires.

 

Samedi, il a une nouvelle fois étalé ses limites au grand jour. Sa charge sur Daniel Rubin, d’une violence extrême, est marquée du sceau de la bêtise. «Il faut arrêter avec les excuses de la vitesse du jeu et de la taille du joueur. On a toujours le choix de faire mal ou pas», dira le Genevois Tim Kast. Vrai.

 

Marquer des buts, ça s’apprend. Checker un adversaire proprement aussi. Le juge unique va forcément punir Julien Sprunger, multirécidiviste des charges maladroites. La sanction devra être exemplaire. La saison de la victime est terminée. Celle du bourreau vraisemblablement aussi. On lui suggère donc de mettre à profit ce temps libre pour aller faire ses gammes chez les picolos. Histoire qu’il apprenne à envoyer du lourd sans envoyer ses adversaires à l’hôpital.