19 décembre 2015

Le club vaudois a lancé un ultimatum à son propriétaire, lequel refuse à la fois d’investir dans le club et de céder la majorité du capital

 

Les cinq membres du conseil d’administration (CA) du Lausanne Hockey Club – Stan Wawrinka a démissionné pour des motifs personnels et, probablement aussi, en raison du contexte – sont assis en face d’une nombreuse assistance médiatique. Ils semblent sereins, malgré une relation avec Hugh Quennec, président du Ge/Servette et aussi actionnaire majoritaire du LHC (à hauteur de quasi 100%, selon nos informations), qui avait atteint son point de rupture la veille. «Agacés», «lassés», ils ont failli quitter le bateau. Jusqu’à une séance de deux heures trente intervenue hier entre l’homme d’affaires canadien, son avocat, le président du Centre intercommunal de glace de Malley, Jean-Jacques Schilt, et le conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba. Après coup, ces deux derniers ont convaincu le CA de rester en place. Ils se chargeront de jouer le rôle de médiateurs avec le propriétaire, dans l’espoir de trouver une solution d’ici au 31 janvier.

 

La date correspond bien à un ultimatum. Le problème, lui, concerne un montant de 6 à 8 millions de francs que les administrateurs considèrent comme un investissement fondamental. Histoire de pouvoir développer les infrastructures de la future patinoire (2019) et de permettre au club de survivre en LNA en attendant. Logique, lorsque l’on sait que le LHC s’apprête à faire face à un manque à gagner considérable durant les deux saisons où il sera délocalisé dans une enceinte provisoire.

 

Le souci? Hugh Quennec ne veut pas injecter cet argent. Le CA, lui, assure avoir trouvé la somme auprès de potentiels actionnaires, lesquels demandent néanmoins de devenir majoritaires dans le cas d’un tel financement. Reste que le Québécois ne veut, là non plus, rien savoir. «Les discussions avec l’actionnaire tournent toujours court et les choses n’avancent pas», explique Patrick de Preux, sans citer nommément Quennec. Mais cet argent est vital. Peut-être que l’entrée en jeu de médiateurs et des pouvoirs publics aidera le président des Lions à trouver un terrain d’entente avec son interlocuteur. «Le canton a besoin d’un club en LNA qui soit solide sur le plan financier, commente Philippe Leuba. L’investissement dans la nouvelle patinoire (ndlr: 200 millions) est considérable, je ne veux pas que celle-ci ne soit pas utilisée à sa juste valeur.»

 

Une chose est sûre, le conseil d’administration tirera sa révérence si la situation n’aboutit pas à un accord d’ici au 31 janvier. «Nous partirons avec le sentiment d’avoir tout entrepris pour le club», précise malgré tout le président, également conscient du «problème d’identification» que soulève l’implication du boss du Ge/Servette HC à Lausanne. «Le pire, c’est qu’on ignore pourquoi l’actionnaire refuse nos propositions. Il a probablement des idées, mais il ne les dévoile pas. L’exemple récent du Servette FC (ndlr: relégué administrativement en Promotion League avec Hugh Quennec à sa tête) ? Bien sûr qu’il nous interpelle et nous inquiète, même si le contexte est différent.»

 

Reste, finalement, la question suivante: pourquoi avoir attendu si longtemps avant de mener une action publique visant le départ du Canadien, arrivé en 2007? Surtout au regard de l’illégalité de la situation au niveau sportif, le règlement de la Ligue nationale interdisant à un club d’en posséder un autre de même division (lire ci-contre) .

 

«Avant que nous ne revenions dans l’élite en 2013 (ndlr: et donc au même échelon que Ge/Servette) , il n’y avait pas de disposition légale nous permettant de demander l’identité de l’actionnariat. Nous ne connaissions pas les détails de son implication, promet Patrick de Preux. Les questions et les soucis sont arrivés avec la LNA.»

 

Du foot au hockey, tout un monde s'effondre

 

Il n’y a pas si longtemps, l’homme incarnait la réussite sportive à Genève. Ses sourires polis s’étaient attirés les bonnes grâces du monde politique, même quand il avait dû montrer les dents pour recevoir d’importantes subventions en faveur de la patinoire des Vernets. C’était là son premier coup de force et Hugh Quennec, gonflé de ce succès, s’est senti pousser des ailes.

 

Il aurait ainsi volé au secours du Lausanne HC dès 2007, financièrement. Avec Chris McSorley vraisemblablement à ses côtés, lequel aurait ensuite revendu ses parts à son compatriote quand Lausanne est remonté en LNA?

 

Hugh Quennec ne s’est pas arrêté là. Il a aussi embrassé le football, avec les mêmes rêves de grandeur. En 2012, c’est le Servette FC qu’il a sauvé de la faillite, porté à la tête du club par un groupe d’investisseurs. La période de grâce n’a pas duré. Enfermé dans ses certitudes, Quennec s’est coupé des réalités. Fonctionnement opaque, refus de céder ses actions à plusieurs partenaires ou repreneurs sérieux: il a précipité Servette au bord de la banqueroute et cette obstination a valu une relégation administrative aux Grenat l’été dernier. Un trou de 5 millions s’était creusé…

 

L’histoire se répète-t-elle avec le LHC, dont il détiendrait le 100% d’actions sans vouloir ouvrir le capital à de nouveaux investisseurs? Mais d’où vient l’argent de Quennec? C’est bien tout le problème avec un homme qui ne veut jamais en parler. De sa fortune personnelle? De sa femme? De partenaires qu’il représente? Cela demeure un mystère.

 

Une chose semble s’imposer: il a hérité des actions du GSHC qu’il possède, comme de celles qu’il a eues du Servette FC et il n’aurait pas eu à payer trop cher pour obtenir celles d’un LHC alors en LNB (2,3 millions?). Pourtant, il ne veut jamais ou presque ouvrir le capital-actions.

 

En attendant, la situation actuelle est grave, puisqu’interne au monde du hockey, et que le règlement interdit à un club de LNA d’en posséder un autre.

 

Si le ciel de Quennec a longtemps été rose, il s’est furieusement obscurci ces derniers temps, tous secteurs confondus. Il est même très sombre désormais en ce qui concerne le hockey. Parce que ses agissements, qui vont à l’encontre du règlement puisque Lausanne est de retour en LNA depuis 2013, pourraient avoir de lourdes conséquences. C’est maintenant tout son monde qui risque de s’effondrer…

 

Enquête ouverte : quels risques ?

 

Un club de LNA n’a pas le droit de posséder un autre club de LNA. Voilà pour le règlement. «Il n’est pas d’une grande clarté», a souligné Patrick de Preux. Il laisse la porte ouverte au cas d’une personne qui serait présente dans deux clubs, à travers des sociétés-écrans différentes.

 

«En réalité, le conseil d’administration doit connaître les ayants droit économiques si ce sont des sociétés paravents qui détiennent les actions, ce qui est notre cas, explique de Preux. Mais nous devons garder le silence, nous ne devons pas transmettre cette information à la Ligue. A elle de poser les bonnes questions.»

 

Autrement dit: à elle de démontrer – c’est là le «secret de Polichinelle», selon de Preux – que c’est bien Hugh Quennec qui serait l’ayant droit de toutes les actions du LHC, à travers une ou des société(s). Alors que fait la Ligue, justement? Elle s’est enfin penchée clairement sur l’actionnariat de Ge/Servette et du LHC. Ueli Schwarz, directeur de la Ligue de hockey, confirme: «Une enquête a été ouverte il y a quelques jours déjà, sur la base des bruits qui circulent. Nous avons demandé aux deux clubs de se positionner sur ce sujet précisément. Mais comme l’enquête est en cours, je n’en dirai pas plus.»

 

Quels risques encourent le Lausanne HC ou Ge/Servette? Le règlement est sujet à interprétation car il offre une large panoplie. Cela pourrait aller jusqu’au retrait de la licence de jeu LNA pour les deux clubs qui auraient triché, si c’est démontré. Ou alors pour un seul des deux. Dans tous les cas, la situation est prise très au sérieux des deux côtés. C’est dangereux de jouer avec le feu…