13 février 2015

Toute la sainte nuit, je m’étais abreuvé des prouesses de Wayne Gretzky, des envolées de Sidney Crosby, visionnées en boucle dans l’espoir d’un mimétisme divin. Pas question de passer à côté de la chance d’une vie: hier, j’avais entraînement avec Chris McSorley. Première séance de hockeyeur dans mon existence. Une heure et quart de pratique pour marquer les esprits, convaincre le patron que oui, je peux apporter quelque chose à son équipe, GE Servette.

 

Viande blanche sans sauce, sucres lents, turbosieste et puis direction la petite (heureusement) patinoire de Bernex (GE), déjà chaud comme une baraque à frites. Mais je ne peux aller plus loin sans lancer un vibrant hommage aux quatre personnes qui m’ont aidé à me glisser dans cette armure. D’abord la coquille, ensuite les porte-jarretelles qui tiendront les bas sous lesquels on glisse les jambières, coudières et autre plastron, un short de 2 kilos – et vous voilà souple comme le croisement du Grand Schtroumpf avec un Playmobil.

 

Ce mal de pieds, ce casque qui chauffe déjà et qui tombe sur les yeux, il faut les prendre comme des amis. Malgré cette pointe au mollet gauche qui me handicape depuis une vingtaine d’années, déterminé comme jamais, je pars au combat, l’épée de Damoclès entre les dents.

 

D’abord, tenir sur ses patins. Surtout, ne pas se blesser. Chris McSorley axe sa séance sur le jeu, le mouvement, bref mes atouts principaux. Très vite toutefois, sans la moindre explication du boss, j’ai l’impression qu’il ne me fait pas vraiment confiance; qu’il m’enferme dans son système ultrastrict, moi qui suis plutôt du style à faire la diff’sur la technique. La main, comme on dit dans le métier. Le cerveau.

 

Quand on possède une machine de guerre, reste à l’exploiter comme il faut. A partir du moment où je ne sais pas patiner en arrière, je regarde de l’avant et opte pour une carrière d’attaquant. Ailier plus précisément, un mec qui évolue proche des bandes, dans l’idée première de s’y raccrocher. L’autre truc pour prévenir les chutes, c’est la crosse, et le hasard n’y est pour rien si on l’appelle aussi canne. Un fidèle soutien, auquel on ajoutera celui de coéquipiers tolérants, d’adversaires compréhensifs, merci les gars.

 

Mais l’inévitable arrive, conséquence d’une préparation pourrie par des soucis extra-sportifs. Le souffle venant à manquer, je me recycle en No 10 à l’ancienne, qui ne sort plus trop du «rond central». Les chevilles crient misère. Le dos prépare une compote et les adducteurs sifflent l’adagio d’Albinoni. Pour tout dire, c’est au mental que je m’en sors, à la tête que je m’accroche. Ma rare intelligence de jeu me permet d’ailleurs de détecter que mon équipe se porte mieux quand je souffle au bord de la glace.

 

Héroïque (ndlr: pour une fois que le terme se justifie) , j’ai l’élégance de m’effacer un peu sur la fin du match, dont j’ai oublié le score mais qui s’est terminé sur une incroyable séance de tirs au but – j’ai cadré en vain, mais on a gagné… Une chose est certaine: ma marge de progression est immense. D’ailleurs Louis Matte, assistant de McSorley, prouve qu’il est un formidable pédagogue: «Tu sais, en play-off, ce n’est pas toujours le talent qui fait la différence», lâche-t-il tout sourire. Alors je ne perds pas espoir.