23 décembre 2017

Présidente du comité de pilotage du projet du Trèfle-Blanc, Anne Emery-Torracinta fait le point sur la situation en exclusivité

 

La confiance à la place de la défiance. Après des mois et des mois de perdus en travail de «due diligence» d’abord, pour s’assurer de la solidité et de l’origine des fonds, après ce blocage cristallisé autour d’un possible appel d’offres de nature à faire capoter toute l’opération, et qui a considérablement retardé l’avancement du projet de la nouvelle patinoire, voilà aujourd’hui les investisseurs de retour en odeur de sainteté. C’est le miracle de Noël. Ou presque…

 

Anne Emery-Torracinta, conseillère d’État chargée du DIP et donc du Sport, mais surtout présidente du comité de pilotage pour le dossier de la nouvelle patinoire du Trèfle-Blanc, nous a reçus dans son bureau en exclusivité. Pour faire le point sur une situation qui a considérablement évolué en quelques semaines. Cela ne dit pas que tous les soucis sont réglés, loin de là. De nouvelles réunions sont indispensables.

 

Mais comme tout est lié, la position financière intenable de Genève-Servette ne manque pas d’alarmer tout le monde ou de susciter des vocations (lire ci-dessous). À moment d’urgence, prise de position claire...

 

Anne Emery-Torracinta, où en sommes-nous dans ce dossier qui traîne de la nouvelle patinoire prévue au Trèfle-Blanc?

 

D’abord, je rappelle que les questions posées sont complexes et concernent plusieurs départements. Du côté des investisseurs, il y a eu plusieurs modifications dans le projet. Finalement, nous avons reçu le nouveau projet, redimensionné, en octobre 2017. Mais aujourd’hui, je peux le dire d’autant plus que j’ai toujours été favorable à une nouvelle patinoire: nous allons dans le bon sens.

 

La dernière réunion avec les investisseurs et leurs représentants a donc permis d’aplanir les problèmes, notamment en ce qui concerne cet appel d’offres?

 

Nous avons vu des gens prêts à avancer, qui ont envie de collaborer, sur du concret. Désormais, après avoir étudié encore la question et au vu de ce qui pourrait se mettre en place, tout est plus clair: si nous continuons comme prévu avec un projet 100% privé, alors il n’y aura plus d’appel d’offres.

 

Pourquoi avoir envisagé cette possibilité, qui a subitement tout bloqué depuis juillet 2017 sans avoir été évoquée auparavant, pour aujourd’hui écarter logiquement l’idée de cet appel d’offres?

 

À un moment, il était encore question d’argent public dans ce dossier. On nous a parlé d’abord d’investisseurs russes, puis du groupe que je qualifierai de «canadien», mais avec des business plans qui changeaient souvent. Encore une fois, nous sommes désormais prêts à étudier le projet actuel. Avec des gens solides en face, qui sont prêts à en discuter avec nous.

 

Le précédent «Stade de Genève» a-t-il joué un rôle dans la grande prudence dont a fait preuve le Conseil d’État?

 

Probablement, oui. Tant que nous n’avons pas un projet élaboré, ficelé, il est difficile de s’engager. C’est une question de responsabilité. Mais la semaine passée, les services techniques des départements concernés ont rencontré les porteurs du projet, qui ont pu le présenter. Qui ont pu tout expliquer. De notre côté, nous avons pu poser les questions importantes. Elles concernent la faisabilité et la viabilité du projet, notamment sur l’aspect financier, ainsi que sur les questions liées à l’aménagement, à la mobilité et aux activités commerciales envisagées. Nous avons appris, par exemple, qu’il n’est pas prévu de grand centre commercial. Aujourd’hui, les signaux sont donc encourageants.

 

On sait que les investisseurs attendent une lettre d’intention pour se sentir formellement reconnus par l’État dans ce projet. Et surtout pour débloquer la somme de trois millions prévue pour soulager le Genève-Servette HC, qui a porté jusque-là les coûts d’études. La situation financière du club est critique: la lettre d’intention pourrait-elle rapidement voir le jour?

 

Cela dépend des réponses aux questions que nous avons posées aux investisseurs. Des réunions sont prévues en janvier. Si tout le monde est de bonne composition, et je crois que c’est le cas, on peut envisager que le dossier avance enfin vite. Et nous pourrions alors d’abord signer une lettre d’intention confirmant la volonté de l’État de poursuivre le projet avec ce groupe d’investisseurs, avant un accord formel ultérieur. Mais je suis consciente de l’urgence.

 

Et inquiète pour l’avenir de Genève-Servette si le dossier de la patinoire devait traîner encore?

 

Je laisse ma casquette du comité de pilotage pour prendre celle de responsable des Sports. Il est bien sûr inquiétant de savoir que le club de hockey phare est en mauvaise posture. Parce que le sport est un facteur de cohésion sociale. Et que le GSHC représente aussi la relève, pour laquelle nous nous impliquons notamment via le sport-études et le soutien à l’association Genève Futur Hockey. Dans cette optique, le projet avec deux patinoires au Trèfle-Blanc, une polyvalente et une extérieure, offre plus de surface de glace, ce qui correspond à un réel besoin à Genève.

 

Quel est votre sentiment personnel sur ce dossier de nouvelle patinoire, aujourd’hui?

 

Je suis beaucoup plus rassurée qu’il y a quelques mois. Un tournant a été pris. Je suis confiante.

 

Exsangue, Genève-Servette retient son souffle. Certains réagissent

 

La nouvelle patinoire, c’est une chose. Genève-Servette en est une autre, même si dans ce dossier, tout est intimement lié. Si l’État semble désormais prêt à collaborer activement et rapidement avec les investisseurs, les terribles turbulences qui frappent les finances du GSHC laissent augurer du pire.

 

Le club avait prévenu que la situation pourrait se crisper en fin d’année. C’est furieusement le cas. Petit tour d’horizon.

 

La situation financière Le club est exsangue. Il peut payer les salaires de décembre, et encore… Mais il ne pourra en l’état pas faire face à ceux de janvier. On parle là d’un grave déficit de trésorerie. Selon nos informations, le paiement des charges sociales accuserait déjà du retard, ce qui ne va pas sans inquiéter la ligue. De plus, d’autres sources affirment que certains fournisseurs traditionnels du club ont des factures impayées en souffrance. À Interhockey, un magasin qui fournit les équipements pour les équipes de hockey, Patrick Reber, l’un des directeurs, ne rentre pas dans le détail, mais ne nie pas. «Si nous avons certains points à régler, nous le faisons avec le club, assure-t-il. Cela peut arriver. Nous gardons un bon contact avec
Ge/Servette. Quand il y a des problèmes, il faut trouver des solutions…» Pas très rassurant.

 

Le salut? Si le projet de la nouvelle patinoire assoit rapidement les investisseurs, via une lettre d’intention, comme les porteurs du projet, ces derniers débloqueront alors les trois millions bloqués pour Genève-Servette, qui a avancé les frais d’études. Mais cette lettre qui conditionne l’aide des investisseurs ne pourrait exister qu’en février ou mars. Comment le club, sans plus d’argent dans ses caisses, pourra-t-il assurer les salaires, les charges sociales et tout le reste pour janvier, voire février? Certains évoquent différentes formes de prêts pour faire le lien. Un prêt convertible (en actions du futur complexe au Trèfle-Blanc) ou un prêt relais, remboursable plus tard à un certain taux. Réalisable si le trou dépasse largement les trois millions?

 

Le précédent Hugh Quennec président, les salaires des joueurs impayés, les charges sociales en délicatesse de quelques mois, des fournisseurs qui ne sont plus réglés, un trou qui se creuse et un club qui se retrouve en cessation de paiements… C’est le schéma vécu par le Servette FC au printemps 2015; sous la présidence de Hugh Quennec, donc. Le club de football avait évité une nouvelle faillite in extremis, Quennec s’était accroché à ses actions jusqu’à l’ultime moment avant de céder le club pour un franc symbolique. Bien trop tard pour que les repreneurs ne puissent éviter une relégation administrative… Le même schéma est-il en train de se reproduire au hockey, dans des proportions peut-être encore plus graves?

 

Un groupe local Face à ces spectres sombres qui se dressent, certains ont pris les devants. Ils sont cinq. Cinq «VIP» qui ont des moyens et ne veulent pas regarder sans réagir. Ils forment un groupe local, financièrement prêt à reprendre le club pour boucher le trou actuel, boucler la saison et doter les Aigles d’un budget ambitieux pour le futur. Nous avons pu contacter l’une de ces cinq personnes. Actuellement, ce monsieur préfère rester dans la discrétion et l’anonymat. «Je pense que le trou avoisine les sept à huit millions, assène-t-il. Je m’interroge sur ce qui se passe. Comment peut-on gérer un club comme ça? Cela nous désole tous, en fait. Il faut faire quelque chose. Nous nous sommes réunis pour dégager des solutions, afin de sauver le club.» Pas encore le moment de se dévoiler. Pas sûr que Quennec soit impliqué dans ce plan de sauvetage…

 

Genève-Servette en est là aujourd’hui. Heureux malgré tout sur la glace en ce mois de décembre, regardant une perspective s’ouvrir enfin pour sa nouvelle patinoire, mais cerné de toutes parts pour ses graves problèmes financiers.